mercredi 28 novembre 2007

Oiseau de proie

Il est des oiseaux de proie que l'on ne s'attend pas à trouver sur une côte battue par la houle d'Ouest, et encore moins directement sur les flots. Ainsi en est-il de l'épervier, plutôt familier des prés, des haies et des bosquets.

Et pourtant, ce n'est pas le goéland que Pellerin a choisi pour désigner le héros de sa série de bandes dessinées, mais bien l'épervier. Épervier, même, avec un É majuscule. C'est ainsi qu'est surnommé Yann de Kermeur, breton (comme son nom l'indique) et corsaire (aurait-il pu en être autrement pour un aventurier breton de ce presque-mitan du XVIIIe siècle ?).
Un corsaire, des navires, un héros chevaleresque, de sombres secrets, il y a, dans cette série, de quoi me séduire a priori. Et pourtant, il m'a fallu quelque temps pour qu'elle me séduise vraiment. Cela n'a pas été le coup de foudre, plutôt une sorte d'affection construite peu à peu, au fil des pages, au fur et à mesure de la découverte.

Pourquoi ai-je donc été plutôt tiède au début ? Probablement parce que l'ouverture de cette série se fait sur des bases si classiques qu'elle en devient trop classique : le héros recueille les derniers mots d'un mourant, est accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis, est victime des manigances du vrai coupable, etc. Bref, une impression très claire de déjà vu, déjà lu. Le dessin et les couleurs étant d'un grand classicisme eux aussi, il n'y a pas vraiment d'élément qui ait réussi à me surprendre.


Fort heureusement, le récit prend un peu de profondeur, au cours des tomes, même si les péripéties sont parfois tirées par les cheveux, avec des rebondissements presque artificiels. Presque du Fajardie, oserais-je dire (au risque de voir arriver, rapière en main, Andromède qui me jettera son gant pour m'être laissé aller à cette pique-clin-d'oeil). Par moments, j'ai l'impression que Pellerin se laisse prendre à son plaisir de dessiner, que ce soit les scènes maritimes ou les vues terrestres, et que l'intrigue en passe au second plan ; un risque qu'il évoque, d'ailleurs, dans une interview.

En matière de BD, je suis pourtant à l'aise dans la facture classique, ayant été en partie nourri de la collection « Vécu » de chez Glénat. Mais il manque à cet Épervier une petite touche de différence, de force, d'audace, peut-être. Sans aller jusqu'au trait de Marini pour le Scorpion, il y avait peut-être de l'espace pour un peu plus d'originalité. Évidemment, se lancer dans un scénario à forte connotation maritime dix-huitiémiste, c'est prendre le risque de la comparaison avec Les passagers du vent de Bourgeon, un sommet (LE sommet ?) du genre à ce jour.
Toutefois, le fait qu'il y ait des sommets, des virtuoses, ne doit pas empêcher qui que ce soit de tenter d'ouvrir sa propre voie. Pellerin a ouvert la sienne, et je ne boude tout de même pas mon plaisir. S'il lui manque un petit grain de folie, cette série ne mérite pas qu'on lui tourne le dos.


Le livre que je trouve presque le plus intéressant est celui qui ne fait pas partie de la série à proprement parler. Les archives secrètes nous dévoilent ce que les albums de la série laissent entrevoir ou deviner, ce qui a façonné l'Épervier.





Alors, suivez l'Épervier, et profitez du voyage.


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Pour aller plus loin dans la découverte du style graphique de Pellerin pour cette série L'Epervier : quelques ex-libris et une série de croquis, et le livre Sur la dunette avec Pellerin qui explique plus largement son travail.



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PS : si j'ai adressé une petite pique souriante dans ce billet à Andromède, je me dois de préciser que c'est elle qui, par un amical « coup de coude » - selon ses propres termes -, m'a fait remarquer que je n'avais rien dit, jusque là, de cette série dans mes colonnes. Ce billet est, d'une certaine manière, un remerciement.

dimanche 25 novembre 2007

Bandits, bandits

Au détour d'un rayonnage de bouquiniste, j'ai mis la main sur un livre réunissant, sous une même couverture, deux bandits célèbres du XVIIIe siècle, deux Louis : Louis Dominique Bourguignon dit Cartouche, et Louis Mandrin.

Tous deux sont nés dans des familles plutôt aisées, des artisans pour Cartouche et des négociants pour Mandrin. Cependant leurs vies vont bientôt les conduire sur les chemins du crime et à la tête de bandes redoutées, mais dans des voies différentes : quand Cartouche se spécialise plutôt dans le vol et le cambriolage, Mandrin joue la carte de la contrebande et de la lutte contre la Ferme générale.

Leurs chemins se rejoignent d'une certaine manière, à 34 ans d'intervalle : Cartouche, en 1721, et Mandrin, en 1755, finiront tous deux leurs jours roués vifs.
Les récits de leurs contemporains ont brossé leurs légendes respectives, les uns les noircissant, les autres les portant aux nues. Mandrin fera l'objet d'une complainte arrivée jusqu'à nous, née dans un opéra de Rameau, et Cartouche eut droit à la sienne également.

Le livre de Fernand Fleuret, Vies de Cartouche et Mandrin (Editions Cartouche, 2006, 2-915842-16-7) dépeint ces deux personnages d'après les livres de colportage. Je ne saurais dire s'il faut y chercher une « vérité » sur l'un ou l'autre, pour autant qu'il y en ait une. J'ai lu ce livre sans autre envie que celle de me divertir avec ces histoire de brigands et, sur ce point-là, je n'ai pas été déçu.

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Pour aller plus loin :
Quelques pistes internet pour aller plus loin, vers Cartouche () et vers Mandrin (ici, et encore ).
Pour une idée du reste du catalogue des éditions Cartouche, voir .

mardi 20 novembre 2007

Deux frères, une haine, un coup de coeur

J'avais consacré un billet aux diverses adaptations en bande dessinée du roman de Robert Louis Stevenson, L'île au trésor.

Un autre roman de Stevenson ayant pour cadre le XVIIIe a été adapté lui aussi en BD. Probalement moins connu du grand public que L'île au trésor, Le maître de Ballantrae conte une histoire poignante, prenante, celle d'un père et ses deux fils se déchirent, en 1745, autour de la question de la fidélité au roi Georges ou du soutien au prétendant Charles Édouard Stuart, chassé du trône anglais en 1688 et souhaitant le reprendre.
Qui doit soutenir le roi ? L'aîné, sur les épaules de qui repose le destin de la famille ? Ou le cadet, alors que son frère veut rejoindre les rangs jacobites ?
Les frères sont comme deux faces d'une même monnaie, l'un amoral mais respecté, l'autre vertueux mais mal-aimé. Deux branches d'un même arbre, d'un même bois, et qui seront rongées, toutes deux, par le feu d'une même haine.

L'adaptation en BD par Hippolyte (chez Denoël ; voir la fiche sur le site de la Bédéthèque ) garde toute l'intensité du récit très prenant, en la soutenant par un graphisme original et éblouissant, tout en aquarelles.
Le premier tome, il y a un an, m'avait séduit. Le deuxième, tout récent, a achevé de me conquérir.


Un de mes grands coups de coeur !








Et comme j'aime bien tirer sur la ficelle pour dévider l'écheveau, j'ai gratté deci delà pour en savoir un peu plus sur l'art d'Hippolyte. Et, disons-le franchement, pour les gens comme moi qui fondent pour les aquarelles et les croquis, il y a là de quoi fondre et refondre. Allez donc visiter par vous-même son site internet, son ancien blog et son blog actuel.



Si je ne craignais pas la vengeance éventuelle du fantôme d'Hugo Pratt, je dirais que j'ai trouvé là, dans les aquarelles d'Hippolyte, autant de force et de plaisir que dans celle du père de Corto.



[Les illustrations de ce billet sont publiées ici avec l'aimable autorisation d'Hippolyte. Qu'il en soit remercié ici.]

vendredi 9 novembre 2007

Une tranche de Casanova

Parcourir la toile à la recherche des traces de Casanova m'amène parfois à tomber sur des articles qui me font rire. Pour celui du jour, il ne s'agit pas d'un rire moqueur, mais bien d'un rire franc, né à la lecture du message de « Rach » sur son blog, message dans lequel est publiée la photographie des tranches de tomes d'une édition anglophone de l'Histoire de ma vie de Casanova, chez un bouquiniste de Picadilly Circus. La question implicite qui me fait rire est « mais où est donc passée la tranche qui manque ? ».

Regardez donc cette photo-là et comparez-la à celle-ci :

L'édition anglophone en question est celle due aux Presses de l'Université John Hopkins (The Johns Hopkins University Press, 1997, ISBN-13 : 978-0801856648).








Pour découvrir cette Histoire de ma vie dans une excellente édition française, suivez le guide.

vendredi 2 novembre 2007

Venise en chansons

Za che semo qua a sta tola,
su, che'l spirito ghe mola
per star sempre in alegria
co sta cara compagnia
Via, tuti cantè insieme
quelo che canto mi:
viva les done tute,
sia zoveni d'età,
sia bele o brute

Puisque nous sommes ainsi en bonne compagnie, chantons ensemble; vive toutes les femmes, quelles soient jeunes, belles ou laides.

Au détour de références bibliographiques, il arrive que l'on soit aiguillé vers quelque chose qui sorte des sentiers battus. Ce fut le cas pour moi avec ce disque de Nella Anfuso, Canzoni Veneziane (Anonimi del XVIII sec.) (2000, Stilnovo, ASIN B000050HPS).
Avec ces chansons vénitiennes tirées des manuscrits du Musée Correr et de la Bibliothèque Querini-Stampalia de Venise, nous embarquons pour la Sérénissime, dans des interprétations ornementées et variées selon la coutume de l'époque. La part faite à la virtuosité vocale et aux ornementations peut surprendre, voire refroidir, car l'on souhaiterait, parfois, goûter la mélodie plus simplement.
Mais ce voyage musical est très original et, que voulez-vous, je me laisse facilement embarquer quand il s'agit de Venise.

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Deux pages à partir desquelles vous pourrez écouter des extraits de ces chansons : ici et .

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