samedi 12 janvier 2008

Parfum mortel

Voilà, c'est fait : après l'avoir gardé pendant plusieurs mois sur une étagère sans y toucher, j'ai enfin regardé le DVD du film Le parfum, de Tom Tykwer.

Pourquoi avoir attendu tant de temps entre l'achat et la séance de cinéma-sur-canapé ? Sans raison précise. Il se trouve que ça s'est fait comme ça. Et je me suis dit que je n'allais pas attendre encore quelques mois entre cette séance de cinéma petit écran et la rédaction de mon ressenti.

J'avais déjà lu le roman de Patrick Süskind, dont a été adapté le film. J'avais été secoué par ce roman riche et dérangeant. Riche par les différents plans de réflexion qu'il offre au lecteur : une certaine satire – voire un rejet – de la société, de ses valeurs ; une aventure initiatique, quête d'un absolu qui contient en lui la promesse de la destruction, où la réussite débouche sur l'échec ; un récit qui ne semble avancer sans revenir sur ses pas mais, au contraire, paraît tisser des boucles, des répétitions ; la juxtaposition de la laideur absolue et de la senteur parfaite, celle du réalisme le plus cru et de surnaturel le plus inattendu.


Un roman inadaptable, si l'on en croyait la rumeur. Bah, il se disait aussi que Le nom de la rose n'était pas adaptable, et Jean-Jacques Annaud a su en faire un grand film (pour l'anecdote, le film Le nom de la Rose compte parmi ses producteurs Bernd Eichinger, également producteur du film Le parfum...). Plusieurs grands noms du cinéma, pourtant, ont déclaré Le Parfum inadaptable : Stanley Kubrick (qui avait la préférence de Süskind pour lui vendre ses droits), Martin Scorsese, Milos Forman. Excusez du peu. Mais d'autres grands noms, pas moindres que les précités, se sont intéressés aux droits d'adaptation, comme Tim Burton ou encore Ridley Scott.

Finalement, c'est à l'Allemand Tom Tykwer, réalisateur de Cours, Lola, cours en 1998, que l'adaptation a été confiée. Avec l'éternelle question qui se pose alors : faut-il coller au près de l'oeuvre originelle, ou en prendre la matière et la modeler différemment, pour en faire quelque chose d'autre avec une personnalité propre ? Tom Tykwer a manifestement choisi la première option : le film devient l'illustration du roman ou, tout au moins, de la majeure partie du roman, certains passages du livre ayant été sacrifiés.

En parcourant les discussions sur Le parfum dans plusieurs forums de cinéphiles, je me suis rendu compte de plusieurs choses :
- d'une part, ce film ne laisse pas les gens tièdes. Les spectateurs se rangent en deux catégories majoritaires et bien tranchées : ceux qui ont été emballés par le film, et ceux qui le vouent aux gémonies ;
- d'autre part, bien des critiques (professionnels patentés ou simples amateurs) font état de la difficulté à traduire les odeurs en images et en font là une difficulté de ce film en général.

Je reviendrai, plus loin, sur la quasi-impossibilité à rester tiède devant ce film, et vais aborder pour l'instant cette question de la traduction des odeurs. Je ne vois pas bien en quoi il est éminemment plus difficile de traduire une odeur en images qu'en mots. Contrairement aux couleurs, nous ne disposons pas d'un vocabulaire spécifique aux odeurs. Nous pouvons exprimer une couleur par les mots « bleu clair », par exemple, sans forcément nous référer à un ciel dégagé ; mais nous désignons une odeur par exemple par une plante (par exemple la rose), et notre esprit associe l'idée de cette plante et l'odeur de la rose, pour autant que nous l'ayons déjà reniflée auparavant et mémorisée. La mémoire olfactive est, chez l'homme au moins, la mémoire la plus longue, bien plus longue que la mémoire visuelle par exemple.
Alors, pour suggérer l'odeur de poisson pas frais, nous pouvons écrire « ça sent le poisson pas frais » ou montrer à l'écran un panier de poisson qui a tourné de l'oeil, et les gens qui ont déjà senti du poisson pas frais pourront, à la lecture de ces mots ou à la vue de ces images, imaginer ce parfum douteux. Tykwer, lui, a choisi cette transposition simple, suggérer les odeurs par les images ; cependant, j'ai parfois trouvé que sa transposition manquait de légèreté. Des images trop insistantes, la répétition de gros plans sur le nez, voire les fosses nasales, pour nous faire comprendre l'importance de l'odorat dans une scène, ce n'était pas pas nécessaire.


La réalisation est particulièrement léchée, tant dans le tableau de la crasse urbaine parisienne que dans celui de la pureté campagnarde provençale. Certaines vues parisiennes (celle du Pont au change vu de la Seine) par exemple, semblent être des tableaux de Raguenet soudain animés. Mais parfois, la profusion d'images paraît ne pas arriver à contenir la volonté d'en dire beaucoup, et il m'est arrivé de décrocher sous une impression de trop-plein visuel. J'ai même trouvé que la musique était par instants trop présente, trop démonstrative. Peut-être aurait-il fallu que le rythme du récit du film s'écartât de celui du roman, que Tykwer jouât plutôt, à certains moments, sur des ellipses pour se donner, à d'autres moments, le temps de la lenteur ?

Quant à la réaction « j'aime / je déteste » face au film, elle me semble tout à fait inévitable. Elle n'est pas due au film lui-même, mais au roman, dont le film, je l'ai dit, est une transposition fidèle (voire trop fidèle à mon goût). Oui, Grenouille est un personnage malsain, dont l'esprit se complaît dans une quête qui est, pour lui, celle de la perfection et qui, pour une personne à peu près saine d'esprit, est plutôt celle de la perversion. Oui, le récit confine au surnaturel dans ses dernières parties, et suivant que l'on arrive à « y croire » ou pas, on trouve le film malignement puissant ou scabreusement irréaliste.


Ceux qui s'installent devant ce roman ou devant ce film en pensant y trouver un roman policier autour d'un serial killer dix-huitièmiste se trompent. Ces deux oeuvres traitent d'une dérangeante et obsessionnelle quête d'absolu, qui fait passer un être vil de l'état où il n'est rien à l'état où il est tout, pour enfin redevenir rien. Le monstre devient messie ou ange, pour finir par disparaître.


Ah, comme j'aurais voulu que Stanley Kubrick, le Kubrick de Barry Lyndon, se fût emparé de ce Parfum pour en faire le sien. Mais, ne dit-on pas que faute de grives, on mange des merles ? Et ce merle-ci présente tout de même des qualités qui en font un bon film, à défaut d'en faire un grand film.



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Pour des clés de compréhension du roman : Le Parfum, Laure Meesemaecker (éditions Hatier, collection Profil d'une oeuvre, n°267, 2003, ISBN 2-218-74033-8)

Pour un dossier pédagogique sur le livre et le film, voyez .


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