samedi 31 décembre 2011

Juste à temps


C'est juste à temps que j'ai relevé, en 2011, le Défi XVIIIe que j'avais contribué à lancer.

Je l'ai relevé avec les billets suivants, tous relatifs à l'année 1781, thème que je m'étais fixé :



Je n'ai pas fait l'effort de mobiliser des contributeurs d'horizons différents, et c'est donc avec peu de participants que s'achève cette année de Défi. Pourtant, cela ne me fait pas baisser les bras pour autant. Le Défi XVIIIe sera donc un défi permanent, sans limite de date. Et s'il étiole au point que personne n'y contribuera, j'en tirerai le constat sans amertume et le rideau tombera.

D'ici là, recevez mes meilleurs vœux pour cette année 2012 désormais très proche !

Brisons les chaînes

C’est en 1781 qu’un pasteur suisse, le Dr Schwartz publie, à Neuchâtel, le court livre Réflexions sur l’Esclavage des Nègres. Une dénonciation de l’esclavage, qui démonte les arguments des esclavagistes sur les plans humaniste, juridique, économique et culturel.
Il est étonnant que ce bon Monsieur Joachim Schwartz, pasteur du Saint-Évangile à Bienne et membre de la Société économique de B*** d’après le livre, ne fasse pas partie, au regard de la portée forte de ce texte, de la galerie des antiesclavagistes à laquelle les oreilles du grand-public ont pu être éduquées.


Les connaisseurs de la langue de Goethe auront peut-être souri en lisant le nom dudit pasteur. Le Dr Schwartz ? Le Docteur Noir, voulez-vous dire ? Ah, je comprends mieux !
Derrière l’ironie de ce pseudonyme, c’est en effet Nicolas de Condorcet qui a tenu la plume de ces Réflexions, texte majeur sur la route vers l’abolition de l’esclavage.




Un peu plus d’un siècle plus tôt, Le Code noir, ou Édit du Roy servant de règlement pour le gouvernement et l’administration de justice et la police des isles françoises de l’Amérique, et pour la discipline et le commerce des nègres et esclaves dans ledit pays, formalisait les règles infâmantes de la traite des esclaves et privait les esclaves de toute personnalité civile et juridique, faisant d’eux de simples biens mobiliers (peu glorieuse année, cet an 1685, qui voit à la fois l’édiction du Code noir et la révocation de l’édit de Nantes...). Les plus cyniques voyaient dans ce Code un moyen de protéger les esclaves de l’arbitraire absolu qui prévalait jusque-là ; de quoi rendre acceptable l’inacceptable. Un Code qui aura la vie longue, puisqu’il durera jusqu’en 1785, après divers remaniements qui en renforceront la portée...


Au Siècle des Lumières s’affrontent partisans et adversaires de l’esclavage, et même les philosophes « éclairés » avaient, sur ce sujet, des positions contrastées. Parmi les antiesclavagistes, certains s’attaquent à l’esclavage par l’ironie, comme Montesquieu, en 1748, dans De l’esprit des loix (sic), ou Voltaire, dans un des épisodes de Candide ou l’Optimisme (1759) ; d’autres abordent le sujet sous l’angle du droit de nature, de l’esprit de la religion, ou encore de l’économie, comme le chevalier de Jaucourt dans les articles « Esclavage » et « Traite des Nègres » de l’Encyclopédie, ou de la vie en société, comme Jean-Jacques Rousseau, dans Du Contrat social (1762) ; d’autres encore mettent en scène des personnages dont l’un défend l’esclavage et l’autre en réfute les arguments ; ainsi l’abbé Raynal dans L’histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes (1770).

Et en 1781, c’est donc le Dr Schwartz, alias Marie-Jean-Antoine Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, homme de sciences et de philosophie qui publie ses Réflexions sur l’esclavage des Nègres (première édition à Neuchâtel ; édition revue et corrigée à Paris, 1788). Le ton est donné dès l’épître dédicatoire aux esclaves : « Mes amis, quoique je ne sois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardés comme mes frères. »


La publication de la première et, surtout, de la deuxième édition a provoqué des élans dans les deux camps, pro- et anti-esclavage. Aux élans de la Société des Amis des Noirs, abolitionniste, répond l’intense lobbying du Club de l’hôtel de Massiac, du nom de la résidence parisienne de l’autoproclamé marquis de Massiac où se réunit une société rassemblant plusieurs dizaines, puis plusieurs centaines de colons des Antilles farouches partisans du maintien de l’esclavage.
Pour mémoire, après une première abolition par la Convention nationale en 1794, l’esclavage est rétabli en 1802, avant d’être définitivement aboli en avril 1848.

Cet ouvrage de Condorcet, texte pionnier et – fait rare jusque-là, entièrement consacré au sujet de l’esclave – est de ceux qui nous amène à regarder le monde différemment, à bousculer nos certitudes, nos préjugés, à sortir de la facilité, à éveiller notre conscience de nous-mêmes et des autres. Il y a encore tant de progrès à faire que bousculer les consciences est un effort salutaire de tous les jours.

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Un peu de lecture
Un exemple d’édition des Réflexions sur l’esclavage des Nègres, de Condorcet (éditions Flammarion, collection GF Philosophie, 2009, ISBN 978-2081220010).



En complément, les lecteurs curieux pourront se tourner vers les Réflexions sur la traite et l’esclavage des Nègres, d’Ottobah Cugoano (Thoughts and Sentiments on the Evil and Wicked Traffic of the Slavery and Commerce of the Human Species, Humbly Submitted to the Inhabitants of Great-Britain, by Ottobah Cugoano, a Native of Africa , 1787 ; 1788 pour la traduction française), et vers The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African (1789), deux des premiers ouvrages militant pour l’abolitionnisme écrits par des anciens esclaves.

Des éditions sont disponibles en français ; par exemple :
Ottobah Cugoano, Réflexions sur la traite et l’esclavage des nègres (éditions Zones, 2009, ISBN 2-355-22017-4).

Olaudah Equiano, Ma véridique histoire (éditions Mercure de France, coll. Le temps retrouvé, 2008, ISBN 978-2715228580).


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Billet publié dans le cadre du Défi XVIIIe, sur le thème "1781"

L'amiral Satan

Pierre André de Suffren de Saint-Tropez n’est pas un des ineffables gendarmes qui ont fait les choux gras d’un certain cinéma français. Né dans une famille noble provençale, Suffren monte les échelons tant dans la marine royale (jusqu’au grade de vice-amiral) que dans l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem (il en deviendra le bailli).


Le duc de Choiseul, dans les années 1760, entreprend, entre autres tâches, la modernisation de la marine royale, dont il pressent qu’elle peut être un atout pour prendre, un jour, une revanche sur l’Angleterre, après la désastreuse défaite française dans la guerre de Sept Ans.
Suffren, lui, sert en Méditerranée, notamment contre les pirates et corsaires de Salé, ou, en congé de la marine française, sur les galères de Malte. Puis vient le temps de la guerre américaine, sous les ordres de l’amiral d’Estaing, sans résultat vraiment décisif.

C’est l’année 1781 qui marque le tournant pour Suffren, qui se voit confier le commandement d’une division de 6 vaisseaux. Oh, alors que la guerre d’indépendance américaine bat son plein, la mission de Suffren peut sembler anecdotique, puisqu’elle doit le mener bien loin du terrain d’opération majeur : appareillant de Brest en avril 1781, il doit aller écarter la menace de la Royal Navy de la colonie hollandaise du Cap, au sud de l’Afrique, avant de se rendre dans l’océan Indien pour y jouer un rôle encore mal défini.
En route vers le Cap, Suffren surprend le 16 avril 1781, au mouillage à Porto Praya dans l’archipel du Cap-Vert, une flotte anglaise de navires marchands accompagnés de vaisseaux de guerre. Après une violente canonnade, il ne peut toutefois pas remporter une victoire décisive, et poursuit son chemin. Au Cap, la population hollandaise se révèle plus anglophile que francophile, mais Suffren arrive à éloigner les navires de l’amiral Johnstone, cette même escadre qu’il avait en partie étrillée à Porto Praya.


Après son arrivée à Madras, en février 1782, il prend son service sous les ordres de l’amiral Thomas d’Orves, qui a le bon goût de trépasser peu après, laissant donc le commandement en chef à Suffren. Celui-ci va, jusqu’à la fin de 1783, mener un jeu de chat et de souris avec les forces anglaises de l’amiral Edward Hugues. Leur « duel » verra des batailles tant navales que terrestres, certaines sanglantes, la plupart indécises, aucun des deux n’arrivant à anéantir son adversaire (Suffren étant, en cela, particulièrement desservi par des crises avec ses subordonnés).


L’Histoire retiendra pourtant que cette épopée du bailli de Suffren aux Indes a été l’un des moments les plus glorieux de la marine française de cette fin du temps des Lumières. Même les Anglais, pourtant avares de compliments sur les marins français de cette époque-là, voient en lui un grand amiral, qu’ils ont même surnommé « l’amiral Satan ».
Malgré la défaite en Amérique du Nord, le sous-continent indien restera aux mains des Anglais. Et Suffren, rentré en France, mourra quelques années plus tard, perclus d’obésité et de dettes.

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Billet publié dans le cadre du Défi XVIIIe, sur le thème "1781"

Du haut-bois à Uranus

Autant le dire d’emblée : avant de fureter ici et là à la recherche de sujets sur le thème « 1781 » pour relever mon propre défi dix-huitiémiste, je n’avais aucune idée de qui était William Herschel. N’étant pas passionné d’astronomie, je n’avais pas croisé sa route jusqu’à aujourd’hui. Et un article de Peter Millman, The Herschel Dynasty. Part I – William Herschel, dans le Journal of the Royal Astronomical Society of Canada, (Vol. 74, p. 134, 1980) m’a fait découvrir un personnage étonnant, passé, au fil de sa vie, du joueur de hautbois au sein du régiment des Hanoverian Foot Guards (régiment de gardes à pied de George, électeur de Hanovre et incidemment roi d’Angleterre) au brillant astronome président de la Royal Astronomical Society, en passant par le compositeur d’une musique aujourd’hui peu connue du grand public.


N’étant pas vraiment familier du monde de l’astronomie, j’ai un peu de mal à comprendre qu’une personne soit reconnue comme le « découvreur » d’un corps céleste alors que celui-ci a déjà été observé dans des temps précédents. Le mot « découvreur » a probablement un sens particulier dans cette confrérie-là ; peut-être le premier à l’avoir « bien » décrite dans ses caractéristiques, son orbite, etc ?
Toujours est-il que William Herschel a « découvert » la planète Uranus en mars 1781. Ce corps céleste avait déjà été observé par d’autres astronomes, mais ceux-ci s’étaient fourvoyés sur sa nature, comme John Flamsteed qui, en 1690, l’avait prise pour une étoile de la constellation du Taureau.
Et même si Pierre Charles Le Monnier l’a observée à plusieurs reprises entre 1750 et 1769, W. Herschel en est le découvreur officiel. Uranus, qu’il avait proposé de baptiser Georgium Sidus (l’étoile de George), lui valu donc d’être récompensé, en novembre 1781, de la médaille Copley, une des plus prestigieuses et des plus anciennes récompenses remises par la Royal Society de Londres, et de venir membre de cette Society le mois suivant. Et la configuration de notre système solaire passait alors de 6 planètes à 7, un changement majeure pour l’époque : toute une conception du cosmos était à revoir !


Peut-être me faudra-t-il donc demander à quelque astronome amateur de me faire regarder Uranus dans un télescope, tout en écoutant une symphonie de Herschel (il en a composé pas moins de 24 !).


Peut-être mon esprit s’ouvrira-t-il alors à cette cosmologie musicale ? Je doute d’en arriver à tomber dans la « théologie naturelle » dont Herschel et d’autres savants et musiciens, comme Haydn, étaient les chantres. Mais ciel et musique peuvent nous ouvrir à une spiritualité et une métaphysique non religieuses, alors pourquoi s’en priver ?

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Billet publié dans le cadre du Défi XVIIIe, sur le thème "1781"

Comme un petit goût de revanche ?

La rivalité de longue date des Français avec leurs voisins d’outre-Manche leur fait souvent apprécier les occasions où les Anglais se font secouer. Alors, ils applaudissent aussi bien la bataille de Patay qu’un grand chelem en ovalie dont le dernier match fait manger la pelouse de Twickenham. C’est ainsi que le siège de Yorktown, en septembre et octobre 1781, prend parfois un p’tit goût de revanche. Ah, Messieurs les Anglais, vous nous aviez pris la Nouvelle-France en 1763 ? Souffrez donc que nous vous boutions, à notre tour, hors de vos colonies d’Amérique du Nord !

La Virginie avait été, dès le début de la guerre d’indépendance américaine, le théâtre de mouvements de troupes, de raids. Aux yeux de la couronne anglaise, ce territoire, avec ses terres fertiles, ses voies d’eau navigables, son tabac échangé en Europe contre des armes et des vêtements, ses élevages de chevaux, et même son éloignement des principaux théâtres d’opération de ce conflit, en faisaient une base vitale pour l’effort de guerre américain.

Les Anglais s’étaient félicités de la prise de Charleston, dont le siège s’était déroulé de mars à mai 1780. Le général Sir Henry Clinton, commandant en chef des troupes anglaises en Amérique du Nord depuis mai 1778, était porté par l’idée que la pacification de cette Amérique du Nord pouvait se baser sur l’établissement d’une chaîne de positions fortifiées autour de bases navales côtières, à partir desquelles des raids pourraient être menés jusqu’au cœur du territoire insurgé. Son subordonné, Charles Cornwallis, ne partage pas du tout la vision stratégique de Clinton, et préfère envisager des troupes mobiles plutôt que ces bases d’appui. Une telle stratégie avait une limite : elle ne pouvait tenir sur la durée que pour autant que l’Angleterre conserverait la suprématie sur les mers. Au regard des succès de la Royal Navy à cette époque-là, présupposer que cette suprématie allait de soi n’était pas tout à fait un péché d’orgueil de la part de Clinton…
Mais c’est la stratégie de Clinton qui l’emporte lorsqu’une base navale est créée à Yorktown, sur la baie de Chesapeake. De là, Clinton veut menacer les colonies centrales, et même frapper Philadelphie avec l’aide de l’armée qui descendrait de New York.





Mais la campagne de Virginie, en 1781, oblige Cornwallis à se réfugier dans Yorktown, pour offrir à ses troupes (environ 8,000 hommes) un abri, du repos, des vivres, et un répit contre la malaria. Assiégés par des troupes américaines sous le commandement de George Washington (environ 9.000 hommes) et des troupes françaises du comte de Rochambeau (environ 9.000 hommes aussi), et coupés de toute aide par voie maritime par l’escadre du comte de Grasse (avec notamment 28 vaisseaux de ligne), Yorktown et les 8.000 hommes de Cornwallis résisteront trois semaines avant de se rendre.


Même si la guerre d’indépendance devait durer encore jusqu’en 1783, la chute de Yorktown était le coup qui allait entraîner, pour l’Angleterre, la perte de ses colonies d’Amérique.


Alors, pensez donc, une telle victoire contre les Anglais, grâce à des troupes françaises et après qu’une escadre française avait tenu en échec la Royal Navy, ça vaut bien un petit billet, non ?

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Pour plus de détail sur ce siège, les lecteurs curieux se reporteront par exemple au livre Yorktown (1781). - La France offre l'indépendance à l'Amérique, de Raymond Bourgerie et Pierre Lesouef
(éditions Economica, collection Campagnes & stratégies, 1992, ISBN 978 2717822816).


Les lecteurs anglophones qui apprécient les synthèses bien illustrées se reporteront à l’ouvrage Yorktown 1781. The World Turned Upside Down, de Brendan Morrissey (texte) et Adam Hook (illustrations) (éditions Osprey, série Campaign, n°47,  1997, ISBN 978 1855326880).

 

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Billet publié dans le cadre du Défi XVIIIe, sur le thème "1781"

lundi 29 août 2011

C’est Vivaldi qu’on assassine


Antonio Vivaldi est mort à Vienne en 1741, dans un grand dénuement. Mais il a également été assassiné en 2006, et le coupable est connu : Jean-Louis Guillermou. Est-ce là un pseudonyme, un nom d’emprunt pris par ce criminel pour ne pas que la honte de son forfait rejaillisse sur sa famille et ses amis ? Je ne crois pas. Non, ce Guillermou est probablement un criminel qui s’assume. Ainsi, c’est de ce même nom qu’il avait signé l’assassinat de Jean-Sébastien Bach en 2003. Faut-il croire qu’il déteste à ce point-là les grands compositeurs qu’il a décidé de se lancer dans le massacre posthume ?



Son Antonio Vivaldi est un désastre cinématographique. Même son sous-titre – Un prince à Venise – est à pleurer. Ce film est à peu près aussi emballant que la mise en image d’une notice de dictionnaire sur Vivaldi. Aucun intérêt narratif, aucun rythme, une réalisation à pleurer sur le plan technique et esthétique, un jeu d’acteurs inexistant. Mais, bon sang, personne, parmi l’équipe du film ou les producteurs, ne s’est rendu compte que c’était mauvais à ce point ? Et le public du Festival international de Besançon était-il sourd et aveugle au point d’attribuer à ce film le « grand prix du public » ? Mince, si ce Vivaldi méritait le grand prix, les autres films en compétition devaient être des catastrophes encore pire.

Même si vous trouvez le DVD de ce film pour 3 sous, ne l’achetez pas. Ou alors juste pour avoir, dans votre dvdthèque, un des étalons du zéro du cinéma, tous genres confondus. Au lieu de céder à ma curiosité quand j’ai vu ce film proposé à petit prix, j’aurais dû rentrer chez moi et consulter quelques critiques sur le net. En lisant celle publiée sur le site de Muse baroque (le magazine de la musique baroque) sous la signature de Viet-Linh Nguyen ou celle de Dr Devo sur le site Matière focale, j’aurais immédiatement compris quel raté abyssal est ce film.
La curiosité est un vilain défaut, et ma curiosité m’a infligé, avec cet Antonio Vivaldi, un de mes pires voyages cinématographiques (à égalité, je pense, avec Blanche, de Bernie Bonvoisin... c’est dire!).

Amateurs de cinéma, amateurs du XVIIIe siècle, amateurs de Vivaldi, passez votre chemin. Ou ne venez pas vous plaindre que je ne vous avais pas prévenus.

dimanche 28 août 2011

Le marronnier Casanova


Autant le dire tout de suite, en voyant que l’hebdomadaire L’Express avait consacré sa une du 27 juillet 2011 (n°3134) à « Casanova, l’épopée d’un séducteur », la méfiance m’a envahi. Ce titre-là, accompagné de ses sous-titres (L’aventurier du plaisir ; l’amoureux mélancolique ; le mémorialiste d’exception), avait un net parfum de marronnier, après un dossier sur le vrai pouvoir des francs-maçons et avant un futur dossier sur les bonnes affaires de l’immobilier.


Mes préjugés ont-ils volé en éclats à la lecture de ce dossier ? Franchement, non. Certes, l’article de Maxime Rovère – qui a publié une biographie de Casanova (Casanova, éditions Gallimard, collection Folio Biographies, 2011, ISBN 9782070300846) – et celui de Chantal Thomas – qui avait publié voici vingt-cinq ans Casanova, Un voyage libertin (réédité chez Gallimard, Folio, octobre 1998, ISNB 9782070405626) – ne sombrent pas trop dans les clichés et apportent un éclairage un peu plus complexe, mais loin d’être nouveau !, sur le personnage que l’habituel portrait unidimensionnel du séducteur invétéré.
Mais, pour vendre du papier, il fallait bien glisser ces non moins habituels clichés. Alors nous voilà gratifiés d’un abécédairede la sexualité de Casanova au travers de son Histoire de ma vie, triste florilège qui passe par « échangisme », « huîtres » et « partouze ».
Où est le mémorialiste d’exception pointé en couverture ? Pas assez vendeur ? Pas assez conforme aux idées reçues sur Casanova ? En tout cas, il est quasiment absent de ce dossier qui n’évite pas de tomber dans le racolage.
Bah, c’est l’été, et L’Express, comme d’autres hebdos aux saisons creuses, nous refile de piètres dossiers dont je me dis qu’ils sont probablement bien loin de l’esprit qu’un Jean-Jacques Servan-Schreiber avait voulu insuffler à un tel magazine.

Quant au numéro avec la une sur l’immobilier, il est arrivé un mois plus tard. Quand je vous parlais de marronniers...


vendredi 26 août 2011

Taillé bien comme il faut


 S’il y a bien une raison pour lesquelles je préfère les libraires « réelles » aux librairies « virtuelles », c’est notamment pour la possibilité de me sentir mon regard accroché par une couverture, de sentir les parfums des livres, de les prendre en mains, de les feuilleter. Et parfois, en me laissant interpeller par une couverture, en feuilletant un ouvrage, paf ! le coup de cœur.
Le dernier en date a été pour le livre L’Homme au Siècle des lumières, de Florent Véniel (texte) et Noëlle Delebarre (photos) (éditions Errance, collection Histoire vivante, 2011, ISBN 978-2-8772-456-2). Le genre de livres qui, quand je l’ai dans les mains, me fait dire « voilà un livre que j’aurais aimé concevoir et réaliser ! ».


Un livre de textes et de photographies pour nous présenter des costumes masculins du XVIIIe siècle, au travers des portraits d’une quinzaine de personnages : montreur de marionnettes, colleur d’affiche, maître d’armes, laquais, médecin, etc. Pour chaque personnage, le texte apporte des éléments de compréhension du contexte de sa profession au sein de la société, puis des éléments sur les pièces de son costume.
Le texte est très agréable à lire, les photos à la fois esthétiques et pratiques. Un ouvrage qui sait allier sérieux (pour autant que je puisse en juger) et facilité de lecture, fond et forme.
Pour qui s’intéresse au costume masculin des années 1740-1790 (en gros) et qui apprécie une approche de ce costume par la reconstitution, alors ce livre constitue un excellent achat pour une introduction au sujet. Mais il ne faut pas y chercher une anthologie du costume vu au travers de dessins ou peintures d’époque, par exemple, puisque ce n’est pas du tout l’objet de l’ouvrage.

Je profite de ce billet pour tirer mon chapeau et adresser mes félicitations à la troupe des Menus plaisirs (dont est membre l’auteur du livre) qui ont servi de mannequins pour ces différents portraits. Leur travail de reconstitution au service d’une « histoire vivante » mérite d’être salué, et cet ouvrage le fera connaître, je l’espère, au-delà du cercle des seuls initiés.

La question qui se pose désormais est : à quand l'ouvrage "La Femme au Siècle des Lumières" ?

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lundi 22 août 2011

La peste soit des gribouilleurs !

 
Prenons un sujet qui se prête bien à une adaptation en bande dessinée pour en tirer une histoire tragique, avec des courageux et des lâches, des altruistes et des égoïstes. Prenons la peste qui a frappé Marseille en 1720.
Prenons quelqu’un qui aime les jeux de mots vaseux pour en faire des titres de livres. Le genre d’artiste qui trouvait les titres des romans publiés à chaîne, comme ceux de la série OSS 117. En l’occurrence, prenons quelqu’un capable de faire un jeu de mots à partir d’un autre titre de livre, et qui est content de trouver « Le diable au port ».
Ajoutons, pour faire bonne mesure, un dessinateur de bande dessinée qui a du mal à dessiner deux fois le même visage pour un même personnage, au point qu’il est difficile de le reconnaître d’une case à l’autre. Prenons un même dessinateur qui, comble du paradoxe, n’arrive pas à faire en sorte que des personnages différents aient des visages différents, au point qu’il est difficile de les distinguer les uns des autres dans une même case. Tant qu’à être exigeants, prenons aussi un dessinateur qui ne sachent mettre ses dessins en couleurs qu’avec des tons vifs et saturés, rien dans la demi-mesure.

Secouons le tout…

Nous obtenons la trilogie Le diable au port, de Benoît Lacou (dessin et couleur) et Claude Ecken (scénario), aux éditions Hors Collection : L’étoffe et le fléau (tome 1, 2002, ISBN 2-258-05686-1), Les brasiers de Marseille (tome 2, 2003, ISBN 2-258-05957-7) et Les forçats de lapocalypse (tome 3, 2004, ISBN 2-258-06299-3).


Le tome 3 se termine sur une case qui laissait espérer une suite, mais la suite n’est jamais venue. Enfin, quand je dis « espérer une suite », c’est peut-être un peu trop généreux. Disons plutôt que ça laissait entendre qu’il pourrait y avoir une suite. Mais de là à l’espérer, franchement, non.
La lecture de cette trilogie n’est pas un calvaire ; n’ayant pas le goût de la mortification, je ne serais pas allé au bout de ma lecture si cela avait été si douloureux. Mais cela me donne le sentiment d’un gâchis, une réalisation qui met à mal un projet qui pouvait être sympathique. Les éléments de base sont, certes, plutôt classiques :
- d’un côté, les « bons » : un jeune chirurgien honnête, un maître d’armes vétéran de guerre, une jeune femme victime d’appétits rapaces ;
- de l’autre, les « méchants » : des marchands peu scrupuleux faisant entrer frauduleusement à Marseille des étoffes venues du Levant et dont ils savent qu’elles sont porteuses d’infections, des médecins ignares ou complaisants, des représentants des autorités municipales ayant trop à perdre à perturber le commerce marseillais ;
- au milieu, un peuple bigarré d’artisans, de boutiquiers, de forçats, de marins, chacun traficotant pour arrondir ses fins de mois ;
- le tout dans un décor propice à retenir l’attention, dont le port et la ville de Marseille.

Mais le récit est confus, à vouloir traiter à la fois l’histoire tragique de cette peste et les anecdotes personnelles, à faire entrer des personnages trop nombreux sur une scène trop exiguë.

Récit confus, mise en images ratée. Une trilogie comme trois coups dans l’eau.

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jeudi 2 juin 2011

Coup de folie

 
Si vous décidez de lire Sade, de Griffo et Dufaux (éditions Glénat, 1991, ISBN 2.7234.1296.2), en présupposant que les créateurs de Giacomo C. se penchent sur le Divin marquis comme ils se sont penchés sur le célèbre Vénitien, vous risquez d’être surpris. Peut-être même désagréablement surpris. Parce que ce Sade est à des lieues des récits vénitiens auquel ce duo a habitué ses lecteurs.



À quoi fut-il donc s’attendre au moment de se plonger dans ce Sade ? À rien. Ou à tout. Il faut surtout accepter d’être conduit dans un labyrinthe de l’esprit, dans des jeux où se mêlent les pensées de Sade et celles de ses personnages. Sade-auteur, Sade personnage de ses propres écrits, Sade-personnage qui écrit, à son tour, et fait vivre ses rêves, ses fantasmes, ses hantises. Le lecteur est alors un funambule qui marche sur le fil entre raison et folie, entre réalité et rêve ou cauchemar. Sade-auteur et Sade-personnage bousculent l’ordre établi, se heurtent à ce nouvel ordre post-révolutionnaire, cette nouvelle « pensée unique ». Le Régime a changé, mais on ne peut laisser le peuple penser par lui-même. Alors, on ne peut laisser Sade écrire ce qu’il écrit, on ne peut laisser ses manuscrits sortir de sa cellule de Charenton, maison de folie plus que maison de fous. Les censeurs prennent même le soin de détruire tout portrait de Sade.
Pourtant, dans cet asile, on tient spectacle ! Le directeur de Charenton a fait bâtir un théâtre, où des « VIP » sains d’esprits viennent voir des pièces de théâtres écrites par Sade et dont la troupe qui les joue mêle des acteurs professionnels et des « résidents » de l’asile. Qui pourrait alors se prévaloir de savoir dessiner clairement la frontière entre fous et « normaux », entre folie et raison ? Très probablement pas le lecteur de ce Sade, lui-même bousculé par les différents plans du récit qui s’entremêlent.




Si Sade ne sortira pas vivant de cet asile, et si aucun portrait authentifié de lui n’arrivera jusqu’à nous, ses œuvres ont traversé les époques et vaincu ses censeurs. Griffo et Dufaux, dans cette BD à tout le moins déroutante, n’ont pas cherché à brosser un portrait historique de Sade, ils l’écrivent eux-même dans leur préface. Ils ont plutôt dessiné un labyrinthe dans lequel ils invitent le lecteur à se perdre. On peut alors comprendre que certaines critiques publiées sur le net fassent état de cette incompréhension face à un récit touffu, à plusieurs plans imbriqués. Être perdu dans une lecture peut se révéler particulièrement désagréable. Pour ma part, j’ai pris plaisir à errer dans ce labyrinthe. À vous de voir si vous voulez tenter l’aventure.

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lundi 24 janvier 2011

Idoménée ou Mozart se libère

J’ouvre ma participation au Défi XVIIIe avec le premier billet d’une série de cinq qui auront pour point commun l’année 1781. Pourquoi cette année-là plutôt qu’une autre ? Parce que j’avais envie en tête de consacrer un billet à l’épopée navale de Suffren aux Indes et à la bataille de Yorktown, l’un des tournants de la guerre d’indépendance des États-Unis, deux moments de l’année 1781. Il me restait à trouver trois autres sujets sur l’année 1781 pour fixer mon objectif pour le Défi. J’avais envie d’explorer d’autres pans dix-huitiméistes à cette occasion, par exemple dans le domaine des sciences et celui de la musique.


Or je viens de lire un dossier sur les opéras de Mozart dans le dernier numéro en date de la revue Diapason (n°587, janvier 20100). Et cela m’a amené à m’intéresser à Idomeneo, rè di Creta (Idomenée, roi de Crète), un opéra que je n’avais jamais écouté jusque-là, et dont il se trouve que la première a été donnée en janvier 1781, alors que Mozart avait vingt-cinq ans (et deux jours, pour les amateurs de précision !).


Bon, autant le dire, je n’avais pas vraiment de souvenir du mythe d’Idoménée, et il m’a fallu remettre le nez dans un livre pour me rafraîchir la mémoire : une tragique histoire d’un père obligé de tuer son fils pour tenir une promesse faite à un dieu en échange de son aide. En revanche, je me rappelais que cet opéra s’était retrouvé sous les feux de l’actualité lorsque ses représentations au théâtre de l’Opéra de Berlin avaient été annulées du fait de menaces ; mais je reconnais que je n’avais pas fouillé le sujet à l’époque, et n’en avais donc gardé que des éléments très superficiels.
Vérification faite, cette suspension des représentations, en septembre 2006, avait été décidée après des menaces de fondamentalistes religieux, jugeant outrageante la mise en scène de cet opéra par Hans Neuenfels. Celui-ci avait en effet inclus dans sa mise en scène les têtes coupées de Poséidon (le dieu dont Idoménée est le débiteur), de Bouddha, de Mahomet et de Jésus-Christ.
Je ne connais rien de cet Hans Neuenfels, et je ne me permettrai donc pas beaucoup de commentaires sur sa mise en scène de cet opéra que je n’ai pas vue. Je me contenterai de dire que mettre sur dans le même plat de têtes coupées celles d’un dieu, de deux prophètes, et d’un « éveillé », c’est un drôle de mélange des genres, et j’ai du mal à en comprendre le message : s’il s’agit de tuer des dieux pour s’en libérer, alors autant décapiter des dieux, et pas des prophètes.
Je ne suis pas friand des metteurs en scène qui tiennent absolument à tout bousculer d’une œuvre, pour la rendre contemporaine, ou intemporelle ; certains y réussissent très bien, d’autres n’aboutissent qu’à quelque chose d’artificiel qui fait perdre l’essence de l'œuvre originelle. Mais, d’un autre côté, je tiens en profonde détestation les sectateurs de toutes religions, et leurs menaces de censeurs.

Mais revenons-en à l’opéra lui-même. Je n’ai aucune la prétention de m’en faire une idée rien qu’en lisant la partition et le livret. Je m’en remets donc, pour aller à la découverte de cette œuvre, à l’écoute d’un enregistrement et de quelques lectures au sujet de cet opéra, dont le numéro de la revue Diapason que j’ai indiqué plus haut.

Pour ce que j’en ai lu, Idomeneo , pièce de commande pour le carnaval de Munich, marque la charnière entre les opéras « de jeunesse » de Mozart, et la série de ses chefs-d’œuvre : les deux opéras « sérieux », Idoménée et L’enlèvement au sérail, puis les trois comédies, Les noces de Figaro, Don Giovanni, et Cosi fan tutte, et enfin les deux autres opéras « sérieux », La clémence de Titus et La flûte enchantée. C’est aussi après Idoménée que Mozart quitte Salzbourg pour Vienne, son père et l’archevêque pour l’empereur ; c’est peut-être de la philosophie de comptoir, mais je me laisse aller à penser que Mozart a peut-être trouvé dans cet Idomeneo un écho au changement de sa propre situation. Mozart se libère des murs de la famille, secoue le joug de ce protecteur-tyran qu’était l’archevêque, et prend en main la création de l’opéra, ferraillant avec l’auteur du livret, Giambattista Varesco (à défaut d’affronter directement l’archevêque, Mozart s’en prend au chapelain de sa cour ?), pour ne pas se laisser imposer ses vues.

Opéra de commande, certes, mais œuvre personnelle ! Mozart trace son propre chemin, entre les lignes de l’opera seria à l’italienne et de la tragédie lyrique à la française, apportant un souffle particulier. Évidemment, c’est tragique, dramatique, et donc, parfois, un peu pompeux pour moi, qui préfère les ambiances plus légères. Mais c’est tout de même déjà du Mozart.


Il va me falloir plusieurs écoutes de cet opéra pour en découvrir les richesses, les subtilités, m’en faire une opinion plus élaborée. Tendre l’oreille, aussi, vers des interprétations différentes, pour découvrir comment différents chefs, différents chanteurs, différents orchestres se le sont approprié.
Pour l’instant, j’ai fait confiance à des critiques trouvées dans des magazines et sur le net, pour mes premières écoutes :
- la version sous la direction de Nikolaus Harnoncourt, enregistrée en 1980 pour Tedec, et que j’ai écoutée dans une réédition de 2005 chez Warner Classics ;
- celle sous la direction de René Jacobs, chez harmonia mundi , 2009, HMC902036.38



Je laisserai tomber le rideau sur cet Idomeneo de Mozart en levant un autre rideau, pour dévoiler l’écran où se projette le Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick. En effet, si l’on retient le plus souvent, dans la partie musicale de ce film, l’entêtante Sarabande de Haendel, c’est bien la Marche de cet Idomoneo qui accompagne l’entrée de Redmond Barry dans le grand monde.


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Éclairage complémentaire : Avec Mozart, un parcours à travers ses grands opéras, de Claire Coleman et Fernando Ortega (éditions Lethielleux, 2010, ISBN 978-2-249-62055-3).




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Pour le complément dix-huitiméiste, je signale que ce mythe d’Idoménée a également inspiré :
- Idoménée, tragédie en cinq actes et en vers de Crébillon père (1705) ;
- Idoménée, tragédie en musique d'André Campra sur un livret d'Antoine Danchet (1712).

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samedi 22 janvier 2011

Des lettres, un (autre) défi

 
Passant de blog en blog et de forum en forum, je suis tombé sur le Challenge épistolaire lancé par  Anne Sophie et Azariel pour « permettre aux lecteurs/bloggeurs de [re]découvrir la littérature épistolaire ».


Voyant cela, je me suis dit que c’était l’occasion de croiser mon goût pour le XVIIIe siècle et ma curiosité pour ce genre littéraire, en participant à ce défi littéraire en publiant des billets sur des romans épistolaires de cette époque-là ou sur des romans épistolaires actuels ayant pour cadre le XVIIIe siècle.


Pour ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre, je place la barre de mon défi au niveau « moyen-lecteur épistolaire » (c’est-à-dire pour publier des billets sur 3 à 4 romans épistolaires avant la date de fin du challenge, soit le 31 juillet 2011), et je prendrai probablement mes lectures parmi les œuvres suivantes :
- Les lettres persanes (1721) de Charles-Louis de Montesquieu ;
- Clarissa, or the History of a Young Lady (1748) de Samuel Richardson ;
- Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761) de Jean-Jacques Rousseau ;
- The Expedition of Humphry Clinker (L'expédition de Humphry Clinker) (1771) de Tobias Smollett ;
- Le paysan perverti, ou Les dangers de la ville (1775-1776), de Nicolas Edme Restif de la Bretonne ;
- Les liaisons dangereuses (1782) de Pierre Choderlos de Laclos ;
- L'almanach des vertiges (2009) de Jean-Daniel Baltassat.

Affaire à suivre.

mercredi 19 janvier 2011

Le défi XVIIIe est lancé !

 
J'avais laissé entendre, voici quelques jours, qu'un "défi dix-huitiémiste" serait bientôt lancé. C'est désormais chose faite, avec le Défi XVIIIe, auquel un blog spécifique est consacré.



Il reste à battre le rappel des intéressés et des curieux, à en faire la publicité dans les blogs et les forums, pour amorcer la dynamique. En avant pour cette aventure !

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mardi 11 janvier 2011

De Moonfleet à Mohune

 
Les changements d’éditeur ne sont pas un phénomène inconnu dans le monde de la BD, et c’est à l’été 2009 qu’a été annoncé le rachat du secteur BD des éditions Robert Laffont par les éditions Delcourt. La série de BD librement adaptée du Moonfleet de Falkner a donc changé d’éditeur et de titre entre son deuxième et son troisième (et dernier) tome, Le secret du Mohune, tome 3 : La malédiction, de Rodolphe au scénario et Dominique Hé au dessin, (éditions Delcourt, 2010, ISBN 978-2-7560-1900-0).



Autant je peux comprendre les changements d’éditeurs, autant pour le changement de titre, je suis plus interrogatif : un problème de droit d’utilisation du titre « Moonfleet » ? Pourtant, les deux premiers tomes de la série, publiés aux éditions Robert Laffont et auxquels j’avais consacré un billet chacun (celui-ci pour le tome 1 et celui-là pour le tome 2) ont été repris tels quels dans leur contenu en passant aux éditions Delcourt. Le titre de la série a été modifié, passant de Moonfleet au Secret du Mohune, et le titre du tome 1 a été raccourci, passant de La crypte des Mohune à La crypte tout court (choix étonnant, d’ailleurs, de passer du pluriel au singulier, en changeant d’édition : « les Mohune » sont devenus « le Mohune »), tandis que le tome 2 ressortait sous son titre premier Le trésor de John Le Noir.

Ce troisième tome me laisse perplexe. Est-ce pour éviter la malédiction qui lui donne son titre (le genre de malédiction qui fait que certaines séries de BD sont arrêtées en cours de route par leurs éditeurs parce que les ventes ne suffisent pas) que le scénariste semble avoir pris le parti de « boucler » l’histoire vite fait ?
Autant les deux premiers tomes posaient l’ambiance sans se presser, autant ce tome-ci paraît mettre le lecteur dans un toboggan pour le conduire sans délai vers la fin de l’histoire. « Allez, hop ! Pas le temps de nous attarder, M’sieursdames, j’ai une histoire à terminer sans lambiner. Vous avez des questions ? Certains points vous semblent obscurs ? Ah, non, pas de réponses ni d’éclaircissements dans un autre album, on vient de vous dire que ce troisième est le dernier. »

Une fin de voyage décevante.

lundi 10 janvier 2011

Masques et ombres

 
Il n’y a pas d’âge pour se lancer à l’aventure dans les rues de la Venise du Settecento, et avec L’Arlequin de Venise, d’Odile Weulersse (édition Hachette Livre, Le livre de poche Jeunesse, 1994, ISBN 2-01-019896.4), tant les personnages principaux du roman que ses lecteurs n’attendent pas le nombre des années pour être confrontés aux lumières et aux ombres de la Sérénissime.



Tonina, la fille du sénateur Zolio, est une de ces héroïnes comme on en trouve dans nombre de romans historiques pour un lectorat jeune ou adolescent : elle est, certes, une jeune fille de ce temps qui sert de décor au roman, mais elle est aussi aussi une jeune fille un peu anachronique, animée de l’esprit de notre temps.
Faut-il pour autant bouder un tel roman ? Point du tout.
D’abord parce qu’il peint un portrait bien vivant de Venise. Ses rues et ses places, ses canaux, ses marchés et ses palazzi, son peuple bigarré, ses patriciens qui tiennent le pouvoir entre leurs mains, les fortunes qui se font (parfois) et se défont (souvent) dans les casini, ses contrebandiers qui trafiquent les marchandises trop réglementées, à leurs yeux, par la Sérénissime, ses chevaliers servants aux petits soins avec les damoiselles, ses prisons où la justice arbitraire envoie croupir même des innocents, etc.
Ensuite parce que cette jeune héroïne permet aux lecteurs adolescents de s’en sentir facilement proches. Les relations de Tonina avec son père veuf, avec son frère, avec son chevalier servant, avec le jeuen noble de Terre ferme qui voudrait la courtiser, bref, sa façon de trouver sa place entre le monde des enfants et celui des adultes, et de bâtir sa propre indépendance, autant de sujets qui peuvent se prêter à la réflexion des jeunes lecteurs.
Et comme l’identification avec les personnages est, semble-t-il, un moyen de rendre la lecture attrayante, je ne vais certainement pas me plaindre qu’un roman « pour la jeunesse » ouvre à ses lecteurs les portes de la Venise du Settecento.

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dimanche 9 janvier 2011

Bientôt un « défi dix-huitiémiste »

 
Ces dernières semaines, j’ai continué à cogiter à mon idée un peu folle de projet de zine dix-huitiémiste, qui prend peu à peu forme dans mon esprit. J’espère pouvoir exposer, dans les semaines à venir, sous une forme structurée, les idées qui me sont venues à ce sujet.
Une idée complémentaire m’est venue, qui pourrait permettre de faire se côtoyer, dans une dynamique éclectique et moins formalisée qu’un zine, des amateurs du XVIIIe siècle très variés.

De nombreux blogueurs du net font se rencontrer leurs passions à l’occasion de « défis » amicaux. Il peut ainsi s’agir de relever le défi de publier, au cours d’une année, une critique de cinq romans policiers, chacun écrit par un auteur de l’un des cinq continents. Ou de publier une critique d’un roman historique par mois de l’année. Les exemples en sont très nombreux, et ces défis n’ont généralement aucun autre objectif qu’un joyeux « rassemblement à distance » de passionnés. Il n’y a pas d’enjeu autre que d’essayer de relever le défi ; il y a du plaisir à y arriver, et aucune honte à ne pas y arriver.

L’idée m’est donc venue de lancer un défi dix-huitiémiste, en proposant à qui le veut bien de publier, au cours de l’année 2011, des billets de blog sur des sujets variés, à condition qu’ils soient liés au XVIIIe siècle. Ce défi sera bientôt lancé, en partenariat avec le forum la Folie XVIIIe, auquel je suis attaché.

Le cadre dans lequel sera lancé le forum est en cours de finalisation, mais je peux d’ores et déjà vous en donner un aperçu presque définitif.


Un défi, kézako ?
Un défi est une dynamique par laquelle chaque participant, de son plein gré, se mesure à lui-même en essayant d’atteindre des objectifs fixés par avance. Un défi du genre de celui que nous pourrions proposer n’a généralement aucun autre objectif qu’un joyeux « rassemblement à distance » de passionnés : il n’y a pas d’enjeu autre que d’essayer de relever le défi ; il y a du plaisir à y arriver, et aucune honte à ne pas y arriver.
Ce genre de défi est ouvert à tout le monde. Les seules conditions pour y participer sont d’une part de le vouloir, et d’autre part de savoir écrire d’une manière qui rend compréhensible ce que l’on publie.

Un défi sur quoi ?
Le net littéraire est riche en défis très divers :
- certains sont très simples, consistant à écrire quelques billets autour d’un sujet particulier. En voici deux exemples : le Défi des 5 continents invite les participants à publier, au cours d’une année, au moins une critique d’un livre policier d’un auteur de chaque continent ; pour le challenge Thrillers et polars historiques, il s’agit de publier, en un an, des critiques de 4 ouvrages relevant de ce genre littéraire ;

- d’autres défis sont beaucoup plus ouverts, en ce sens que les billets peuvent porter sur des objets très divers, au sein d’une même thématique. Ainsi, les participants au défi Un an en Russie peuvent publier des articles sur le thème de la Russie, dans des perspectives très variées (présenter/critiquer un roman classique russe, de la poésie russe, un roman ou un film qui se déroule en Russie, une exposition d’œuvres d’art russes ; mettre en valeur du vocabulaire russe, etc.).


Un blog spécifique comme point d’attache
Le plus souvent, ces défis ont un blog pour point d’attache, blog administré par l’organisateur (ou les organisateurs) du défi. Le blog sert à publier les « règles » du défi, à recenser les participants et leurs publications dans le cadre du défi, voire à héberger les publications des participants qui ne disposent pas de leur propre blog.


Un défi dix-huitiémiste
L’idée de base d’un défi dix-huitièmiste est de faire se croiser, se découvrir et peut-être se mettre en relation des gens qui partagent un goût pour le dix-huitième siècle et dont ce goût peut prendre des formes très variées : des lecteurs, des cinéphiles, des peintres, des musiciens, des maquettistes, des costumiers, des touche-à-tout, etc.
Nous ne prétendons pas qu’un tel défi fera naître un réseau de gens qui se mettraient, tout à coup, à se fréquenter les uns les autres alors qu’ils ne font, au mieux, que se côtoyer de blog à blog ou au sein de forums. Mais il y aura peut-être une première étincelle.


Que pourra-t-on publier dans un défi dix-huitiémiste ?
Par comparaison avec une majorité des défis que nous avons observé sur le net, nous proposerons aux participants de publier au moins un billet de présentation (ou de critique) d’une œuvre – au sens très large - dans 5 catégories à choisir parmi une vingtaine de catégories dont la liste serait établie pour servir de cadre général.
Le regroupement des catégories en « familles », ci-dessous, n’a aucune importance, il ne sert qu’à donner une typologie indicative. Un participant serait totalement libre de publier des billets se rapportant à des catégories relevant toutes d’une même « famille ».

Par exemple :

* œuvres du XVIIIe siècle
- roman
- poème ou œuvre poétique
- mémoires
- pièce de théâtre (soit en elle-même, soit au travers d’une représentation aujourd’hui, ou d’un enregistrement)
- œuvre musicale (soit en elle-même, soit au travers d’une représentation aujourd’hui, ou d’un enregistrement)
- tableau, dessin
- création architecturale

* petit ou grand personnage du XVIIIe siècle
au choix du participant au défi : littérateur, architecte, médecin, explorateur, guerrier, séducteur, philosophe, etc. Bien entendu, il peut s’agir indifféremment d’un homme ou d’une femme.


* œuvres dix-huitiémistes mais postérieures au XVIIIe siècle (écrites/réalisées/créées au XIXe, au XXe ou au XXIe siècle)
- roman historique
- étude académique, ouvrage universitaire, etc.
- film (que ce soit une adaptation d’un œuvre du XVIIIe siècle ou pas)
- téléfilm / série télévisée (que ce soit une adaptation d’un œuvre du XVIIIe siècle ou pas)
- documentaire télévisuel
- bande dessinée
- ballets
- éventuellement « inclassables » (comme le spectacle de Bartabas sur le chevalier de Saint-George)

* re-créations
- créateurs de costumes
- fabricants d’armes
- troupes de reconstitution
- modélisme

* jeux
- jeux de société
- jeux de guerre
- jeux de rôles
- autres jeux

Réussir le défi
L’idée est vraiment que chacun se sente relativement libre dans sa manière de participer au défi, une des seules contraintes étant de publier des billets de catégories différentes.

Exemple d’un défi qui serait réussi, dans une approche tous azimuts :
- un critique incendiaire d’une représentation de La locandiera de Goldoni ;
- un billet de coup de cœur pour les dessins de François Boucher ;
- une chaude recommandation d’aller faire une randonnée équestre en Margeride, le pays de la Bête du Gévaudan ;
- une salve d’applaudissements pour Barry Lyndon de Kubrick, en expliquant pourquoi on préfère ce film au roman dont il est adapté ;
- un autoportrait photographique en marquise de Merteuil.

Exemple d’un défi qui serait réussi dans une approche plus thématique :
- une mini-biographie du marquis de Lafayette ;
- une note de lecture sur un livre parlant de la guerre d’indépendance américaine ;
- un article sur la reconstitution grandeur nature de la frégate L’Hermione à Rochefort (c’est la frégate qui a emporté Lafayette vers l’Amérique) ;
- une critique de la BD L’Hermione – La conspiration pour la liberté, de Jean-Yves Delitte ;
- un coup de projecteur sur un modéliste naval qui réalise une maquette de L’Hermione.


Guettez le lancement du défi
Le défi sera lancer au travers d’un blog spécifique, comme cela a été indiqué plus haut. Mais nous en ferons la publicité par divers canaux, histoire d’attirer l’attention sur ce défi et d’essayer de titiller les envies d’écriture le plus largement possible.

Et, bien évidemment, le crieur public n’oubliera pas de passer dans les salons de Monsieur de C. Ce serait bien le diable si mes fidèles lecteurs et aimables lectrices n’en étaient pas parmi les premiers informés !

Lectures en cours et promesses de billets

 
Parmi les livres dix-huitièmistes que j’ai récemment lus ou que je suis en train de lire, en voici quatre, deux romans et deux BD, auxquels je consacrerai prochainement des billets.

L’Arlequin de Venise, d’Odile Weulersse (édition Hachette Livre, Le livre de poche Jeunesse, 1994,  ISBN 2-01-019896.4)



Les secrets du chevalier d’Eon, espion du roi, de Gérard Morel, Nouveau Monde éditions, collection Jeunesse, 2010, ISBN 978-2-84736-509-2).


 
Le secret du Mohune, tome 3 : La malédiction, de Rodolphe au scénario et Dominique Hé au dessin, (éditions Delcourt, 2010, ISBN 978-2-7560-1900-0)




 
Rani, tome 2 : Brigande, de Jean Van Hamme et Alcante au scénario et Francis Valles au dessin (éditions Le Lombard, 2011, ISBN 978-2-8036-2752-3)




dimanche 2 janvier 2011

Oiseaux de nuit


Les gentlemen de la nuit, de Béatrice Nicomède (éditions Gulf Stream, collection Courants Noirs, 2010, ISBN 978-2-35488-076-7) a un petit goût de Moonfleet. Pour ne pas y trouver ce goût, je crois qu’il faudrait être totalement ignorant de ce roman de Falkner ou du film que Fritz Lang en a tiré. Ou même, puisque Les gentlemen de la nuit s’adressent surtout à un public adolescent, n’avoir pas non plus lu l’adaptation de Moonfleet en BD par Rodolphe et Hé. Quoi qu’il en soit, ne connaître ni le roman ni le film ni la BD ne serait un crime : en regardant cela de manière optimiste, ce serait même l’occasion de découvrir ces trois œuvres qui valent, chacune d’entre elles à sa manière, le détour.
 

Mais j’en reviens aux Gentlemen de la nuit. Difficile pour moi, disais-je, de ne pas y retrouver le parfum de Moonfleet : des côtes anglaises un peu sauvages (ici, celles de l’île de Wight) à la fin du XVIIIe siècle, des îliens que la pauvreté accule à la contrebande maritime, des cachettes dans des grottes et sous des cimetières, des tonneaux d’eau-de-vie et des coffres de dentelles, des jeux de chats et de souris entre contrebandiers et douaniers dans des nuits de plus ou moins de lune, et des adolescents pris dans les affaires des adultes.
Pourtant Béatrice Nicodème ne tombe pas dans le plagiat. Par-delà l’intrigue un peu classique, elle apporte sa touche personnelle, creusant les portraits de ses personnages, leurs faces claires comme leurs faces sombres. L’ennemi le plus dangereux des contrebandiers n’est pas ici, le douanier, mais le mal insidieux qui s’est glissé au sein de l’un de leurs groupes.

Même si l’ombre de Moonfleet pèsera longtemps sur tout roman qui racontera des histoires de contrebandiers maritimes au XVIIIe siècle, aucune plume ne devrait s’interdire de s’aventurer dans ce thème-là. Après tout, bien des auteurs se sont permis d’écrire des romans de mousquetaires et spadassins après Alexandre Dumas père, et certains ont brillé dans ce genre. Alors, quand un roman lance un clin d'œil à Moonfleet tout en y apportant une touche personnelle, autant le saluer pour ses mérites propres, et Les gentlemen de la nuit n’en manquent pas.
J’ai lu ce roman avec mes yeux et mon esprit d’adulte, mais je pense qu’outre ces aspects historique et « policier », ce roman peut offrir à des adolescents des sujets de réflexion intéressants, comme la complexité des relations d’amour et de haine entre deux mêmes personnes, le mur de silence derrière lequel un père cache à son fils les raisons et circonstances du décès de sa mère, ou encore les privautés que s’autorisent les hommes mûrs sur les jeunes femmes qui sont en leur pouvoir pour des raisons de mariage ou d’emploi.

Après ce coup de tricorne à l’auteur, le coup de griffe (presque de gueule) à l’éditeur : quel est la personne inconséquente qui a rédigé la quatrième de couverture de ce livre ? Le vrai traître, ou la vraie traîtresse, des contrebandiers, c’est cette personne-là, qui dévoile, dans le texte de présentation du roman, les deux-tiers de l’intrigue ! J’applaudirai des deux mains si cette personne est démasquée et balancée à la mer pour que les flots et les crabes lui fassent un sort funeste. La peste soit des inconséquents qui privent les lecteurs d’une grande partie du plaisir de leur lecture.

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samedi 1 janvier 2011

Toi aussi, un jour, tu iras chercher ton île

Dans la préface à l’édition de l’adaptation en bande dessinée de L’île au trésor à laquelle j’ai récemment consacré un billet, Hugo Pratt citait les mots de son père quand ce dernier lui avait offert ce roman : « Toi aussi, un jour, tu iras chercher ton île... Ne t’en fais pas si tu ne la trouves pas tout de suite ; il y en a beaucoup, tu la rencontreras le moment venu ».
 
Nous portons tous en nous notre île, et toutes nos îles sont différentes. Si cette année 2010 qui s’est achevée ne vous a pas vus trouver votre île, qu’elle soit le Spitzberg, Tahiti ou Cythère,  l’année 2011 qui commence vous le permettra peut-être.
Pour ma part, voilà assez longtemps que j’ai compris que l’important n’est pas la destination, mais le voyage, avec ses découvertes et ses incertitudes, ses rencontres et ses apprentissages.

Je vous souhaite donc bon vent et bon voyage vers votre île !



illustration : The ships under command of Captain James Cook of the British Navy at anchor in Matavai Bay at Tahiti during the observations of the Venus Transit in 1769 (peinture de William Hodges - The Granger Collection NYC).