samedi 31 décembre 2011

Juste à temps


C'est juste à temps que j'ai relevé, en 2011, le Défi XVIIIe que j'avais contribué à lancer.

Je l'ai relevé avec les billets suivants, tous relatifs à l'année 1781, thème que je m'étais fixé :



Je n'ai pas fait l'effort de mobiliser des contributeurs d'horizons différents, et c'est donc avec peu de participants que s'achève cette année de Défi. Pourtant, cela ne me fait pas baisser les bras pour autant. Le Défi XVIIIe sera donc un défi permanent, sans limite de date. Et s'il étiole au point que personne n'y contribuera, j'en tirerai le constat sans amertume et le rideau tombera.

D'ici là, recevez mes meilleurs vœux pour cette année 2012 désormais très proche !

Brisons les chaînes

C’est en 1781 qu’un pasteur suisse, le Dr Schwartz publie, à Neuchâtel, le court livre Réflexions sur l’Esclavage des Nègres. Une dénonciation de l’esclavage, qui démonte les arguments des esclavagistes sur les plans humaniste, juridique, économique et culturel.
Il est étonnant que ce bon Monsieur Joachim Schwartz, pasteur du Saint-Évangile à Bienne et membre de la Société économique de B*** d’après le livre, ne fasse pas partie, au regard de la portée forte de ce texte, de la galerie des antiesclavagistes à laquelle les oreilles du grand-public ont pu être éduquées.


Les connaisseurs de la langue de Goethe auront peut-être souri en lisant le nom dudit pasteur. Le Dr Schwartz ? Le Docteur Noir, voulez-vous dire ? Ah, je comprends mieux !
Derrière l’ironie de ce pseudonyme, c’est en effet Nicolas de Condorcet qui a tenu la plume de ces Réflexions, texte majeur sur la route vers l’abolition de l’esclavage.




Un peu plus d’un siècle plus tôt, Le Code noir, ou Édit du Roy servant de règlement pour le gouvernement et l’administration de justice et la police des isles françoises de l’Amérique, et pour la discipline et le commerce des nègres et esclaves dans ledit pays, formalisait les règles infâmantes de la traite des esclaves et privait les esclaves de toute personnalité civile et juridique, faisant d’eux de simples biens mobiliers (peu glorieuse année, cet an 1685, qui voit à la fois l’édiction du Code noir et la révocation de l’édit de Nantes...). Les plus cyniques voyaient dans ce Code un moyen de protéger les esclaves de l’arbitraire absolu qui prévalait jusque-là ; de quoi rendre acceptable l’inacceptable. Un Code qui aura la vie longue, puisqu’il durera jusqu’en 1785, après divers remaniements qui en renforceront la portée...


Au Siècle des Lumières s’affrontent partisans et adversaires de l’esclavage, et même les philosophes « éclairés » avaient, sur ce sujet, des positions contrastées. Parmi les antiesclavagistes, certains s’attaquent à l’esclavage par l’ironie, comme Montesquieu, en 1748, dans De l’esprit des loix (sic), ou Voltaire, dans un des épisodes de Candide ou l’Optimisme (1759) ; d’autres abordent le sujet sous l’angle du droit de nature, de l’esprit de la religion, ou encore de l’économie, comme le chevalier de Jaucourt dans les articles « Esclavage » et « Traite des Nègres » de l’Encyclopédie, ou de la vie en société, comme Jean-Jacques Rousseau, dans Du Contrat social (1762) ; d’autres encore mettent en scène des personnages dont l’un défend l’esclavage et l’autre en réfute les arguments ; ainsi l’abbé Raynal dans L’histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes (1770).

Et en 1781, c’est donc le Dr Schwartz, alias Marie-Jean-Antoine Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, homme de sciences et de philosophie qui publie ses Réflexions sur l’esclavage des Nègres (première édition à Neuchâtel ; édition revue et corrigée à Paris, 1788). Le ton est donné dès l’épître dédicatoire aux esclaves : « Mes amis, quoique je ne sois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardés comme mes frères. »


La publication de la première et, surtout, de la deuxième édition a provoqué des élans dans les deux camps, pro- et anti-esclavage. Aux élans de la Société des Amis des Noirs, abolitionniste, répond l’intense lobbying du Club de l’hôtel de Massiac, du nom de la résidence parisienne de l’autoproclamé marquis de Massiac où se réunit une société rassemblant plusieurs dizaines, puis plusieurs centaines de colons des Antilles farouches partisans du maintien de l’esclavage.
Pour mémoire, après une première abolition par la Convention nationale en 1794, l’esclavage est rétabli en 1802, avant d’être définitivement aboli en avril 1848.

Cet ouvrage de Condorcet, texte pionnier et – fait rare jusque-là, entièrement consacré au sujet de l’esclave – est de ceux qui nous amène à regarder le monde différemment, à bousculer nos certitudes, nos préjugés, à sortir de la facilité, à éveiller notre conscience de nous-mêmes et des autres. Il y a encore tant de progrès à faire que bousculer les consciences est un effort salutaire de tous les jours.

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Un peu de lecture
Un exemple d’édition des Réflexions sur l’esclavage des Nègres, de Condorcet (éditions Flammarion, collection GF Philosophie, 2009, ISBN 978-2081220010).



En complément, les lecteurs curieux pourront se tourner vers les Réflexions sur la traite et l’esclavage des Nègres, d’Ottobah Cugoano (Thoughts and Sentiments on the Evil and Wicked Traffic of the Slavery and Commerce of the Human Species, Humbly Submitted to the Inhabitants of Great-Britain, by Ottobah Cugoano, a Native of Africa , 1787 ; 1788 pour la traduction française), et vers The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African (1789), deux des premiers ouvrages militant pour l’abolitionnisme écrits par des anciens esclaves.

Des éditions sont disponibles en français ; par exemple :
Ottobah Cugoano, Réflexions sur la traite et l’esclavage des nègres (éditions Zones, 2009, ISBN 2-355-22017-4).

Olaudah Equiano, Ma véridique histoire (éditions Mercure de France, coll. Le temps retrouvé, 2008, ISBN 978-2715228580).


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Billet publié dans le cadre du Défi XVIIIe, sur le thème "1781"

L'amiral Satan

Pierre André de Suffren de Saint-Tropez n’est pas un des ineffables gendarmes qui ont fait les choux gras d’un certain cinéma français. Né dans une famille noble provençale, Suffren monte les échelons tant dans la marine royale (jusqu’au grade de vice-amiral) que dans l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem (il en deviendra le bailli).


Le duc de Choiseul, dans les années 1760, entreprend, entre autres tâches, la modernisation de la marine royale, dont il pressent qu’elle peut être un atout pour prendre, un jour, une revanche sur l’Angleterre, après la désastreuse défaite française dans la guerre de Sept Ans.
Suffren, lui, sert en Méditerranée, notamment contre les pirates et corsaires de Salé, ou, en congé de la marine française, sur les galères de Malte. Puis vient le temps de la guerre américaine, sous les ordres de l’amiral d’Estaing, sans résultat vraiment décisif.

C’est l’année 1781 qui marque le tournant pour Suffren, qui se voit confier le commandement d’une division de 6 vaisseaux. Oh, alors que la guerre d’indépendance américaine bat son plein, la mission de Suffren peut sembler anecdotique, puisqu’elle doit le mener bien loin du terrain d’opération majeur : appareillant de Brest en avril 1781, il doit aller écarter la menace de la Royal Navy de la colonie hollandaise du Cap, au sud de l’Afrique, avant de se rendre dans l’océan Indien pour y jouer un rôle encore mal défini.
En route vers le Cap, Suffren surprend le 16 avril 1781, au mouillage à Porto Praya dans l’archipel du Cap-Vert, une flotte anglaise de navires marchands accompagnés de vaisseaux de guerre. Après une violente canonnade, il ne peut toutefois pas remporter une victoire décisive, et poursuit son chemin. Au Cap, la population hollandaise se révèle plus anglophile que francophile, mais Suffren arrive à éloigner les navires de l’amiral Johnstone, cette même escadre qu’il avait en partie étrillée à Porto Praya.


Après son arrivée à Madras, en février 1782, il prend son service sous les ordres de l’amiral Thomas d’Orves, qui a le bon goût de trépasser peu après, laissant donc le commandement en chef à Suffren. Celui-ci va, jusqu’à la fin de 1783, mener un jeu de chat et de souris avec les forces anglaises de l’amiral Edward Hugues. Leur « duel » verra des batailles tant navales que terrestres, certaines sanglantes, la plupart indécises, aucun des deux n’arrivant à anéantir son adversaire (Suffren étant, en cela, particulièrement desservi par des crises avec ses subordonnés).


L’Histoire retiendra pourtant que cette épopée du bailli de Suffren aux Indes a été l’un des moments les plus glorieux de la marine française de cette fin du temps des Lumières. Même les Anglais, pourtant avares de compliments sur les marins français de cette époque-là, voient en lui un grand amiral, qu’ils ont même surnommé « l’amiral Satan ».
Malgré la défaite en Amérique du Nord, le sous-continent indien restera aux mains des Anglais. Et Suffren, rentré en France, mourra quelques années plus tard, perclus d’obésité et de dettes.

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Billet publié dans le cadre du Défi XVIIIe, sur le thème "1781"

Du haut-bois à Uranus

Autant le dire d’emblée : avant de fureter ici et là à la recherche de sujets sur le thème « 1781 » pour relever mon propre défi dix-huitiémiste, je n’avais aucune idée de qui était William Herschel. N’étant pas passionné d’astronomie, je n’avais pas croisé sa route jusqu’à aujourd’hui. Et un article de Peter Millman, The Herschel Dynasty. Part I – William Herschel, dans le Journal of the Royal Astronomical Society of Canada, (Vol. 74, p. 134, 1980) m’a fait découvrir un personnage étonnant, passé, au fil de sa vie, du joueur de hautbois au sein du régiment des Hanoverian Foot Guards (régiment de gardes à pied de George, électeur de Hanovre et incidemment roi d’Angleterre) au brillant astronome président de la Royal Astronomical Society, en passant par le compositeur d’une musique aujourd’hui peu connue du grand public.


N’étant pas vraiment familier du monde de l’astronomie, j’ai un peu de mal à comprendre qu’une personne soit reconnue comme le « découvreur » d’un corps céleste alors que celui-ci a déjà été observé dans des temps précédents. Le mot « découvreur » a probablement un sens particulier dans cette confrérie-là ; peut-être le premier à l’avoir « bien » décrite dans ses caractéristiques, son orbite, etc ?
Toujours est-il que William Herschel a « découvert » la planète Uranus en mars 1781. Ce corps céleste avait déjà été observé par d’autres astronomes, mais ceux-ci s’étaient fourvoyés sur sa nature, comme John Flamsteed qui, en 1690, l’avait prise pour une étoile de la constellation du Taureau.
Et même si Pierre Charles Le Monnier l’a observée à plusieurs reprises entre 1750 et 1769, W. Herschel en est le découvreur officiel. Uranus, qu’il avait proposé de baptiser Georgium Sidus (l’étoile de George), lui valu donc d’être récompensé, en novembre 1781, de la médaille Copley, une des plus prestigieuses et des plus anciennes récompenses remises par la Royal Society de Londres, et de venir membre de cette Society le mois suivant. Et la configuration de notre système solaire passait alors de 6 planètes à 7, un changement majeure pour l’époque : toute une conception du cosmos était à revoir !


Peut-être me faudra-t-il donc demander à quelque astronome amateur de me faire regarder Uranus dans un télescope, tout en écoutant une symphonie de Herschel (il en a composé pas moins de 24 !).


Peut-être mon esprit s’ouvrira-t-il alors à cette cosmologie musicale ? Je doute d’en arriver à tomber dans la « théologie naturelle » dont Herschel et d’autres savants et musiciens, comme Haydn, étaient les chantres. Mais ciel et musique peuvent nous ouvrir à une spiritualité et une métaphysique non religieuses, alors pourquoi s’en priver ?

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Billet publié dans le cadre du Défi XVIIIe, sur le thème "1781"

Comme un petit goût de revanche ?

La rivalité de longue date des Français avec leurs voisins d’outre-Manche leur fait souvent apprécier les occasions où les Anglais se font secouer. Alors, ils applaudissent aussi bien la bataille de Patay qu’un grand chelem en ovalie dont le dernier match fait manger la pelouse de Twickenham. C’est ainsi que le siège de Yorktown, en septembre et octobre 1781, prend parfois un p’tit goût de revanche. Ah, Messieurs les Anglais, vous nous aviez pris la Nouvelle-France en 1763 ? Souffrez donc que nous vous boutions, à notre tour, hors de vos colonies d’Amérique du Nord !

La Virginie avait été, dès le début de la guerre d’indépendance américaine, le théâtre de mouvements de troupes, de raids. Aux yeux de la couronne anglaise, ce territoire, avec ses terres fertiles, ses voies d’eau navigables, son tabac échangé en Europe contre des armes et des vêtements, ses élevages de chevaux, et même son éloignement des principaux théâtres d’opération de ce conflit, en faisaient une base vitale pour l’effort de guerre américain.

Les Anglais s’étaient félicités de la prise de Charleston, dont le siège s’était déroulé de mars à mai 1780. Le général Sir Henry Clinton, commandant en chef des troupes anglaises en Amérique du Nord depuis mai 1778, était porté par l’idée que la pacification de cette Amérique du Nord pouvait se baser sur l’établissement d’une chaîne de positions fortifiées autour de bases navales côtières, à partir desquelles des raids pourraient être menés jusqu’au cœur du territoire insurgé. Son subordonné, Charles Cornwallis, ne partage pas du tout la vision stratégique de Clinton, et préfère envisager des troupes mobiles plutôt que ces bases d’appui. Une telle stratégie avait une limite : elle ne pouvait tenir sur la durée que pour autant que l’Angleterre conserverait la suprématie sur les mers. Au regard des succès de la Royal Navy à cette époque-là, présupposer que cette suprématie allait de soi n’était pas tout à fait un péché d’orgueil de la part de Clinton…
Mais c’est la stratégie de Clinton qui l’emporte lorsqu’une base navale est créée à Yorktown, sur la baie de Chesapeake. De là, Clinton veut menacer les colonies centrales, et même frapper Philadelphie avec l’aide de l’armée qui descendrait de New York.





Mais la campagne de Virginie, en 1781, oblige Cornwallis à se réfugier dans Yorktown, pour offrir à ses troupes (environ 8,000 hommes) un abri, du repos, des vivres, et un répit contre la malaria. Assiégés par des troupes américaines sous le commandement de George Washington (environ 9.000 hommes) et des troupes françaises du comte de Rochambeau (environ 9.000 hommes aussi), et coupés de toute aide par voie maritime par l’escadre du comte de Grasse (avec notamment 28 vaisseaux de ligne), Yorktown et les 8.000 hommes de Cornwallis résisteront trois semaines avant de se rendre.


Même si la guerre d’indépendance devait durer encore jusqu’en 1783, la chute de Yorktown était le coup qui allait entraîner, pour l’Angleterre, la perte de ses colonies d’Amérique.


Alors, pensez donc, une telle victoire contre les Anglais, grâce à des troupes françaises et après qu’une escadre française avait tenu en échec la Royal Navy, ça vaut bien un petit billet, non ?

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Pour plus de détail sur ce siège, les lecteurs curieux se reporteront par exemple au livre Yorktown (1781). - La France offre l'indépendance à l'Amérique, de Raymond Bourgerie et Pierre Lesouef
(éditions Economica, collection Campagnes & stratégies, 1992, ISBN 978 2717822816).


Les lecteurs anglophones qui apprécient les synthèses bien illustrées se reporteront à l’ouvrage Yorktown 1781. The World Turned Upside Down, de Brendan Morrissey (texte) et Adam Hook (illustrations) (éditions Osprey, série Campaign, n°47,  1997, ISBN 978 1855326880).

 

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Billet publié dans le cadre du Défi XVIIIe, sur le thème "1781"