mardi 27 août 2013

Une Juliette sans folie

Les romans de Sade ont été servis de manière plus ou moins réussie, à mes yeux, lorsqu’ils ont été adaptés en bande dessinée. Autant la Justine de Guido Crepax m’a plu, par son graphisme, par les choix de composition des cases et des pages, autant le Juliette de Sade de Philippe Cavell (dessin) et Francis Leroi (scénario) m’a donné l’impression d’une BD pornographique plate.


La violence physique et mentale n’y manque pas, les scènes crues non plus, mais le trait, la construction, n’ont pas de souffle un peu « fou ».
J’avais dit, pour un autre billet de ce défi, que l’adaptation du roman Fanny Hill de John Cleland par ce même dessinateur était trop imprégnée de ce style « franco-belge » qui manque de panache, de mouvement. Ici, même défaut, pour moi.


Quant au scénariste de cette BD, Francis Leroi, n’oublions pas qu’il a été réalisateur de films aux titres particulièrement légers, comme L’infirmière n’a pas de culotte (1980) ou Cette salope d’Amanda (1978) (je précise, si besoin est, que j’ai trouvé ces titres sur sa fiche IMDB, et non dans ma vidéothèque personnelle !). C’est dire si le scénario de la BD promettait de faire dans la dentelle, en se basant sur l’Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice (1801) de Sade (Juliette étant, pour ceux qui ne sont pas familiers de leur arbre généalogique, la sœur de Justine).

Le duo a commis deux tomes : Juliette de Sade et L’ermite de l’Appenin (Éditions Dominique Leroy, 1979, ISBN 2-86688-002-1, et 1983, ISBN 2-86688-083-8 respectivement).


Alors, oui, dans cette Juliette de Sade de Cavell et Leroi, ça fout, ça fouette, ça tue, mais ça ne me convainc pas.


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dimanche 25 août 2013

Justine par Guido

Dans mon précédent billet, j’ai indiqué que c’est Guido Crepax qui m’a fait découvrir Sade, avec son adaptation en BD de Justine ou les malheurs de la vertu.


J’étais arrivé à Crepax par l’ambiance « roman noir et jazz » de son album L’homme de Harlem (Dargaud, 1979, ISBN 2-205-01562-1), à cette époque où les éditions Dargaud publiaient leur collection « Un homme – une aventure », riche d’au moins une douzaine de titres qui m’ont fait connaître l’école italienne, avec Hugo Pratt (L’homme des Caraïbes), Sergio Toppi (L’homme du Nil, L’homme du Mexique), Dino Battaglia (L’homme de la Légion), Attilio Micheluzzi (L’homme du Khyber) ou encore Milo Manara (L’homme des neiges).


J’ai rapidement été conquis par le trait de Crepax et le rythme qu’il avait insufflé à ce récit. Très peu après, je n’embarquais dans la lecture de Justine – d’après le marquis de Sade (éditions Le Square, 1980, ISBN 2-226-01050-5).


En revenant sur cet album après avoir récemment lu le roman de Sade, je me dis que Crepax a su faire tenir en environ 160 pages une grande partir de ce roman, sans vraiment le trahir. Certes, il y manque certains développements philosophiques dans lesquels le marquis emmenait ses lecteurs entre deux séances d’humiliation, de violence ou de stupre (ou, plus généralement, un mélange de tout cela), mais une partie essentielle s’y retrouve quand même.
 
Il convient de noter que dans la transposition des mots de Sade en dessins de Crepax, la charge est moins crue, la violence moins clinique. Oui, Crepax montre, mais je trouve qu’il ne s’appesantit pas. Alors, sans pour autant que cette Justine devienne, sous son crayon, un conte pour enfants, la lecture de cet album m’est nettement plus supportable que celle du roman.

La Justine de Crepax est aujourd’hui publiée en album « solo » (Delcourt, collection Erotix, ISBN 978-2-7560-2147-8).


Il y a une douzaine d’années, elle avait été publiée en album « duo », avec son adaptation d’Histoire d’O de Pauline Réage (Evergreen, 2000, ISBN 978-3822863428).



Cette Justine de Crepax est une adaptation en BD peut-être à découvrir avant de lire le roman.


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Finalement, non merci

S’il y a quelqu’un avec qui je ne suis pas porté à partager des plaisirs, même par l’esprit, c’est Donatien-Alphonse-François de Sade. Il ne faut probablement pas juger une personne à son œuvre (sinon, Agatha Christie aurait été poursuivie comme tueuse en série), mais après avoir lu au moins un de ses livres, j’ai peine à croire qu’une personne à peu près saine d’esprit aura envie d’inviter le marquis de Sade à une soirée entre amis. Même si Sade a expliqué qu’il n’avait pas mis en pratique, loin de là, tout ce qu’il avait imaginé et jeté d’une plume rageuse, tortionnaire et meurtrière sur le papier, je ne suis pas entièrement rassuré. C’est, tout de même, un « divin marquis » aux fantasmes infernaux. Voulant secouer le monde qui l’entourait, Sade l’aurait mis sens dessus dessous en empruntant des chemins prônant une totale liberté d’expression.


Je n’ai peut-être pas choisi la plus « abordable » comme première lecture d’une œuvre de Sade ; car Justine ou les malheurs de la vertu, c’est quand même bien gratiné ! Alors, pourquoi celle-là, demanderez-vous peut-être ? Les dictionnaires et fiches de présentation des romans de Sade ne manquent pas, et cela aurait pu suffire à m’avertir. Ma réponse est simple : c’est la faute à Crepax.
Qui donc ?
Crepax, Guido Crepax.
Auteur de bande dessinée.


J’ai découvert Crepax en même temps que Pratt, au début des années 1980. L’un par sa Justine (1979), l’autre par sa Ballade de la mer salée (1967-1969, puis 1975). Même si c’étaient mes premiers pas dans la BD dite « adulte », il s’agissait de deux univers aux antipodes l’un de l’autre. Chez Pratt, je retrouvais ce qui m’avait fait rêver chez London, Monfreid et autre Peyré. Chez Crepax (je reviendrai sur cette Justine crepaxienne dans un prochain billet), j’entrais dans un univers inconnu, d’une dureté qui m’a refroidi, sans m’échauffer les sens ou l’imagination à un seul moment. Et cela ne m’avait pas incité à lire Sade dans le texte.

Plus tard, j’ai recroisé Sade en BD, grâce à Griffo et Dufaux (1991). Mais je n’avais toujours rien lu de lui.



Alors, ce défi « Badinage & libertinage » était l’occasion de tenter l’aventure de la littérature sadienne. Avec Justine, donc. La faute à Crepax, je vous disais. Et, tant qu’à faire, dans l’édition originale de 1791. Ou plutôt son fac-similé numérique, gracieusement mis à disposition sur gallica.




Qu’en ai-je retenu ?

En premier lieu, un déplaisir de lecture. Même si je crois quand il écrit, ailleurs, qu’il n’a pas commis dans la réalité tout ce que son esprit a imaginé et sa plume a transcrit, j’ai du mal à me sentir tenu par ses mots.
En outre, j’ai du mal à trouver, derrière la façade outrancière, la profondeur d’une réflexion sur la morale. J’ai du mal à voir dans ce roman l’acte philosophique et politique d’un défenseur des droits humains contre une société d’oppression.
Il est vite évident que Sade est dans l’exagération : sa Justine est à la fois trop naïve et trop imperméable à ses tourments dont elle se remet en un tournemain, ses tortionnaires trop pervers (quoique, avec les affaires sordides qui font les délices des voyeurs morbides des faits divers, de nos jours encore, je craigne qu’il n’y ait pas de limite supérieure à la perversité), la succession des « malheurs » – dans un crescendo d’atrocités – en devient presque mécanique.
Pour vanter la liberté de l’individu contre les carcans d’une société moralisatrice et religieuse (dans le roman, les criminels qui s’en prennent à Justine sont, entre autres, des membres de la noblesse et du clergé), cette charge ne m’emporte pas.


Justine la vertueuse se fait piétiner par les pervers toute sa vie, tandis que sa sœur Juliette, qui choisit de monnayer ses charmes, grimpe les échelons de la société. Faut-il le lire dans ce sens, au premier degré, ou à rebours ? Je reconnais qu’en arrivant (péniblement) au bout de cette lecture, je n’avais aucune envie de creuser plus avant la question. Monsieur le Marquis, j’ai trop de respect pour l’école péripatétique pour penser qu’une promenade outrancière en compagnie de Justine (ou de Juliette) me serait une profitable leçon de philosophie. Sur le libéralisme des idées, l’athéisme, ou encore la liberté individuelle, je préfère d’autres compagnies à la vôtre.


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samedi 24 août 2013

Le cardinal aux dents longues

C’est à Venise que j’ai croisé, pour la première fois, François-Joachim de Pierre, déjà de Bernis et abbé, mais pas encore cardinal. Dans l’Histoire de ma vie de Casanova et dans les rapports des informateurs auprès du Conseil des Dix (Giovanni Comisso en a rassemblés quelques-uns dans son ouvrage Les agents secrets de Venise – 1705-1797 ; réédition aux éditions Gallimard, collection Le promeneur, 1990, EAN 9782876530843).


En ces années 1750 commençantes, Bernis était ambassadeur de France à Venise, et Casanova, qui fut abbé lui aussi, y revenait, après un séjour autrichien. Bernis et Casanova, amateurs de plaisirs féminins et ne répugnant pas à les partager, se retrouvent à courtiser et aimer ensemble deux religieuses, « M. M. » (Maria Magdalena Pasini) et « C. C. » (Cattarina Capretta).
Cet épisode, raconté d’une plume alerte par Casanova dans ses mémoires, est rapporté dans Bernis, le cardinal des plaisirs, de Jean-Marie Rouart (Gallimard, 1998, ISBN 2-07-075264-X), d’une manière moins enlevée.



Le livre de Rouart n’est pas inintéressant pour qui a envie de découvrir Bernis, mais tant son titre que la couverture de cette édition (comme celle de l’édition dans la collection Folio) sont mensongers. Bien plus juste aurait été le titre Bernis, le cardinal de l’ambition, mais c’est Jean-Paul Desprat qui l’a retenu pour Le Cardinal de Bernis, la belle ambition (éditions Perrin, 2000, EAN 978-2262013202).

Car, cet épisode partagé avec Casanova est à peu près le seul qui, dans l’ouvrage de Rouart, fait directement référence à des plaisirs, et plus particulièrement des plaisirs libertins, en dehors de quelques plaisirs de la table et des plaisirs du paraître. Pour le reste, c’est bien le portrait d’un homme ambitieux, bien décidé à tracer son chemin vers les hautes sphères, qu’il s’agisse d’obtenir la distinction cardinalice, un poste d’ambassadeur, une élection à l’Académie française, un secrétariat d’État.


Beau portrait d’ambitieux, mais loin de mériter le titre de « cardinal des plaisirs » que lui attribue Jean-Marie Rouart (« de l’Académie française » lui aussi).

Je n’ose que du bout des doigts le présenter à ce défi « Badinage et libertinage ». Au moins pour prévenir ceux qui seraient tentés de le lire pour découvrir un cardinal libertin qu’il vaut mieux qu’ils regardent du côté de l’abbé Guillaume Dubois (devenu cardinal, lui aussi), compère jouisseur du Régent Philippe duc d’Orléans.


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vendredi 23 août 2013

De la frivolité à la folie

Faute d’avoir en avoir beaucoup entendu parler avant d’en trouver une édition (Tchou Editeur, 1966, non illustrée) à petit prix chez un bouquiniste, j’ignorais que la trilogie des Amours du chevalier de FaublasUne année de la vie du chevalier de Faublas (1787 ; 5 parties), Six semaines de la vie du chevalier de Faublas (1788 ; 8 parties) et Fin des amours du chevalier de Faublas (1790 ; 6 parties) – se rattachait au genre littéraire dit libertin.


Plusieurs centaines de pages plus loin (une édition Gallimard en compte plus de mille), je ressors de cette aventure née sous la plume de Jean-Baptiste Louvet, dit Louvet de Couvray, sous le coup d’une sympathique découverte : une sorte de croisement survolté entre deux genres littéraires qui naîtront pourtant plus tard, le roman-feuilleton et le théâtre de vaudeville, croisement lui-même percuté par des tribulations que n’auraient reniées ni Casanova ni le chevalier d’Éon. Le tout écrit par un auteur qui est aussi un homme politique, plutôt « girondin » aux temps révolutionnaires et même accusateur de Robespierre, ce qui n’est pas rien en 1792...), et publié de part et d’autre de la fin de « l’Ancien régime ».



Il est d’ailleurs un peu étonnant que ce roman en trois parties ait eu du succès, pour autant que j’ai pu le lire dans divers articles, aussi bien avant qu’après le déclenchement de la Révolution, et tant dans un camp que dans l’autre.

Ce chevalier de Faublas est un personnage qui attire la sympathie. On sourit de la voir si naïf, écartelé entre son amour pour une jeune fille bien sous tous rapports et le tourbillon de tentations féminines qui le bousculent et auxquelles il ne sait que céder. Il est également sympathique parce que, contrairement à d’autres « héros » de romans libertins, il n’est pas celui qui séduit les femmes parce qu’il les méprise, ou parce qu’il veut leur imposer son pouvoir, ou parce qu’elles l’aideront à monter les marches casse-gueule d’un escalier social bancal. D’ailleurs, il n’est pas vraiment un séducteur ; plutôt un amant opportuniste, qui profite de ce qui se présente sans penser à demain, ni même à tout à l’heure. Un libertin picaresque, en quelque sorte.


Le ton de ce roman est léger, sans pornographie prononcée, et avec des scènes qui ne manquent pas de cocasse et me font penser au théâtre de boulevard (ainsi, lorsque le mari lutine une servante sur le lit de la chambre, alors que son épouse s’est cachée dans le placard de ladite chambre avec son amant !). Passages secrets, lits à ressort, duels, travestissements du chevalier en femme, amant caché derrière le rideau, liaisons nobles et ancillaires, enlèvements et libérations, rendez-vous galants dans les jardins de couvent, relations un tantinet inextricables entre les protagonistes (je reconnais avoir parfois perdu le fil du « qui est qui ? »), le plaisir du rythme l’emporte largement sur le réalisme. C’est comme du Casanova, mais en plus « gros » !


Si ce ton et ce rythme ne m’ont pas particulièrement surpris (même si je les associais plutôt, a priori, à Dumas ou Zevaco, quelques décennies plus tard), ce qui n’a pas manqué de me surprendre est la présentation des dialogues sous deux formes : parfois, ils sont portés au fil du texte, et parfois ils sont présentés comme dans une pièce de théâtre.

Le comte est ici, le baron doit y venir ; s’ils se rencontrent, ils peuvent avoir une explication dont vous devez redouter les suites. – Vous avez raison ; mais quel parti prendre ? – Faire dire à M. de Faublas de ne pas venir. – Ah!Je suis bien aise de le voir et de lui parler. – Cependant, je prendrai la liberté de vous représenter… 


LE COMTE, en entrant.
Où est donc le vicomte ?

LA COMTESSE.
Chut !

LE COMTE.
Plaît-il ?

LA COMTESSE.
Taisez-vous !

LA BARONNE, regardant Mme de Lignolle d’un air étonné.
Est-ce que je vous dérange, comtesse ?

LA COMTESSE.
Point du tout.

Comparaison n’est pas raison, mais cette présentation si spécifique de quelques dialogues me fait penser aux longues scènes sans paroles, mais soutenues musicalement, dans les westerns de Sergio Leone, avant que les colts ne crachent leur déluge de plomb, ou les ralentis dans certains films de John Woo. Ces dialogues théâtralisés suspendent, ralentissement, momentanément le fil du récit, et ils n’en prennent que plus d’importance.



Incapable de se séparer de ses amantes – contrairement aux libertins cyniques, qui se débarrasse de l’une pour profiter de l’autre –, Faublas se prend lui-même dans une toile où il s’épuise à passer de l’une à l’autre, sans provoquer la salvatrice rupture. Et, malgré la légèreté générale du ton des aventures, la gravité n’est pas loin : l’insouciance se heurte aux conventions sociales, la séduction à l’inégalité des sexes, l’excès des sens à la perte de l’esprit.

La troisième partie s’achève sur une vingtaine de pages d’échanges de correspondance entre quelques personnages de premier plan, clin d’œil à ce genre bien en vogue qu’était le roman épistolaire, et au plus célèbre des romans épistolaires libertins, Les liaisons dangereuses. Mais ces lettres échangées, comme un commentaire en voix off pour l’épilogue d’un film, induisent une nouvelle distance : alors que le reste du roman est un récit par le chevalier à la première personne, cette correspondance donne la parole aux principaux protagonistes : on y apprend que Faublas a été interné « dans une maison de Picpus, où l’on traite les insensés », puis les épisodes qui suivront, jusqu’à son exil en Pologne.

Mais non, Sophie me reste. Loin de me plaindre, enviez mon sort, et dites seulement que pour les hommes ardents et sensibles, abandonnés dans leur première jeunesse aux orages des passions, il n’y a plus jamais de parfait bonheur sur la terre.

FIN




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