dimanche 25 août 2013

Finalement, non merci

S’il y a quelqu’un avec qui je ne suis pas porté à partager des plaisirs, même par l’esprit, c’est Donatien-Alphonse-François de Sade. Il ne faut probablement pas juger une personne à son œuvre (sinon, Agatha Christie aurait été poursuivie comme tueuse en série), mais après avoir lu au moins un de ses livres, j’ai peine à croire qu’une personne à peu près saine d’esprit aura envie d’inviter le marquis de Sade à une soirée entre amis. Même si Sade a expliqué qu’il n’avait pas mis en pratique, loin de là, tout ce qu’il avait imaginé et jeté d’une plume rageuse, tortionnaire et meurtrière sur le papier, je ne suis pas entièrement rassuré. C’est, tout de même, un « divin marquis » aux fantasmes infernaux. Voulant secouer le monde qui l’entourait, Sade l’aurait mis sens dessus dessous en empruntant des chemins prônant une totale liberté d’expression.


Je n’ai peut-être pas choisi la plus « abordable » comme première lecture d’une œuvre de Sade ; car Justine ou les malheurs de la vertu, c’est quand même bien gratiné ! Alors, pourquoi celle-là, demanderez-vous peut-être ? Les dictionnaires et fiches de présentation des romans de Sade ne manquent pas, et cela aurait pu suffire à m’avertir. Ma réponse est simple : c’est la faute à Crepax.
Qui donc ?
Crepax, Guido Crepax.
Auteur de bande dessinée.


J’ai découvert Crepax en même temps que Pratt, au début des années 1980. L’un par sa Justine (1979), l’autre par sa Ballade de la mer salée (1967-1969, puis 1975). Même si c’étaient mes premiers pas dans la BD dite « adulte », il s’agissait de deux univers aux antipodes l’un de l’autre. Chez Pratt, je retrouvais ce qui m’avait fait rêver chez London, Monfreid et autre Peyré. Chez Crepax (je reviendrai sur cette Justine crepaxienne dans un prochain billet), j’entrais dans un univers inconnu, d’une dureté qui m’a refroidi, sans m’échauffer les sens ou l’imagination à un seul moment. Et cela ne m’avait pas incité à lire Sade dans le texte.

Plus tard, j’ai recroisé Sade en BD, grâce à Griffo et Dufaux (1991). Mais je n’avais toujours rien lu de lui.



Alors, ce défi « Badinage & libertinage » était l’occasion de tenter l’aventure de la littérature sadienne. Avec Justine, donc. La faute à Crepax, je vous disais. Et, tant qu’à faire, dans l’édition originale de 1791. Ou plutôt son fac-similé numérique, gracieusement mis à disposition sur gallica.




Qu’en ai-je retenu ?

En premier lieu, un déplaisir de lecture. Même si je crois quand il écrit, ailleurs, qu’il n’a pas commis dans la réalité tout ce que son esprit a imaginé et sa plume a transcrit, j’ai du mal à me sentir tenu par ses mots.
En outre, j’ai du mal à trouver, derrière la façade outrancière, la profondeur d’une réflexion sur la morale. J’ai du mal à voir dans ce roman l’acte philosophique et politique d’un défenseur des droits humains contre une société d’oppression.
Il est vite évident que Sade est dans l’exagération : sa Justine est à la fois trop naïve et trop imperméable à ses tourments dont elle se remet en un tournemain, ses tortionnaires trop pervers (quoique, avec les affaires sordides qui font les délices des voyeurs morbides des faits divers, de nos jours encore, je craigne qu’il n’y ait pas de limite supérieure à la perversité), la succession des « malheurs » – dans un crescendo d’atrocités – en devient presque mécanique.
Pour vanter la liberté de l’individu contre les carcans d’une société moralisatrice et religieuse (dans le roman, les criminels qui s’en prennent à Justine sont, entre autres, des membres de la noblesse et du clergé), cette charge ne m’emporte pas.


Justine la vertueuse se fait piétiner par les pervers toute sa vie, tandis que sa sœur Juliette, qui choisit de monnayer ses charmes, grimpe les échelons de la société. Faut-il le lire dans ce sens, au premier degré, ou à rebours ? Je reconnais qu’en arrivant (péniblement) au bout de cette lecture, je n’avais aucune envie de creuser plus avant la question. Monsieur le Marquis, j’ai trop de respect pour l’école péripatétique pour penser qu’une promenade outrancière en compagnie de Justine (ou de Juliette) me serait une profitable leçon de philosophie. Sur le libéralisme des idées, l’athéisme, ou encore la liberté individuelle, je préfère d’autres compagnies à la vôtre.


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